Ce n’est plus un simple débat entre experts. Mardi 18 juin, le haut-commissaire à la Planification, Clément Beaune, a remis à la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, un rapport au titre évocateur : « Niveau scolaire : faut-il s’inquiéter ? » La réponse tient en un mot : oui. Depuis plusieurs années, les enquêtes Pisa, Timss ou Pirls se sont imposées comme des baromètres du système scolaire. Et les résultats sont préoccupants. La France enchaîne les mauvaises performances, en particulier dans les disciplines scientifiques. Une tendance lourde, désormais prise très au sérieux au sommet de l’État.
Classements internationaux : la dégringolade
Le rapport Pisa 2023, publié en décembre dernier, a confirmé le recul. Comme nombre de pays européens, la France accuse une nouvelle baisse, tout en restant dans la moyenne de l’OCDE. Pas de quoi pavoiser : les écarts se creusent avec les leaders mondiaux.
La suite après cette publicité
L’Asie — Singapour, Corée du Sud, Japon, Chine — continue de survoler les évaluations. Quant aux pays nordiques, longtemps cités en modèle, leur avance s’érode. Le « miracle finlandais », jadis envié, semble désormais révolu. Mais c’est l’enquête Timss qui met en lumière les lacunes les plus criantes. Contrairement à Pisa, qui mesure les capacités générales de raisonnement, Timss s’appuie sur les connaissances réellement enseignées à l’école. Et là, la France touche le fond.
Seuls 3 % des collégiens atteignent un niveau très élevé en mathématiques
En CM1, les élèves français se classent dans le bas du tableau européen, juste devant l’Espagne. En 4e, ils ne devancent que le Portugal. Autre alerte : seuls 3 % des collégiens atteignent un niveau très élevé en mathématiques, contre 11 % en moyenne européenne. Un déficit de « bons élèves » qui interroge autant que l’échec des plus fragiles.
Face à cette spirale descendante, les ministres de l’Éducation successifs ont tenté de reprendre la main. En décembre 2023, Gabriel Attal lançait son « choc des savoirs », une série de mesures censées relever le niveau : groupes de niveaux au collège, obtention du brevet conditionnant l’entrée en seconde… Et surtout, l’adoption progressive d’une méthode venue d’ailleurs : la « méthode Singapour ».
La méthode Singapour : solution miracle ?
Présentée comme une réponse innovante aux difficultés en mathématiques, cette méthode repose sur une progression en trois temps : concret, imagé, abstrait. Le tout soutenu par des outils visuels, comme le « schéma en barres », qui permettent aux élèves de représenter un problème avant de le résoudre.
Un modèle séduisant sur le papier. Mais qui résiste mal à l’analyse. Ironie de l’histoire : dès les années 1970, Singapour s’était inspirée de manuels occidentaux avant de les adapter à son propre contexte. Son succès actuel repose autant sur le contenu pédagogique que sur des conditions très favorables : enseignants formés 100 heures par an, manuels nationaux, classes peu chargées, flexibilité pédagogique.
En France, la greffe prend difficilement. « Il ne s’agit pas d’une méthode unifiée, encore moins scientifiquement évaluée », rappellent les chercheurs Nathalie Sayac et Éric Mounier dans The Conversation. Souvent mal comprise, mal appliquée, la méthode Singapour est parfois réduite à un simple habillage. L’enthousiasme initial laisse place à une mise en œuvre bancale, faute de formation ou de suivi.
Des élèves capables de comprendre les fractions dès le CE1
Et pourtant, certains établissements continuent d’y croire. À Saint-Jean-de-Passy, dans le XVIe arrondissement de Paris, la méthode est généralisée de la maternelle au CM2. « Dans les méthodes classiques, les notions sont abordées sans cohérence. Ici, la progression est spiralaire : on y revient régulièrement, avec une base concrète », défend ait il y a 2 ans la direction pour le Figaro. Résultat selon elle : des élèves capables de comprendre les fractions dès le CE1, sans appréhension. Mais ces exemples restent l’exception. À l’échelle nationale, la méthode ne transforme pas le paysage. Et ne suffit pas à enrayer les inégalités.
Repenser les priorités
Pour la sociologue Marie Duru-Bellat, c’est ailleurs qu’il faut chercher les causes du décrochage : dans la formation des professeurs. « Depuis la réforme du concours à bac +5, 80 % des profs des écoles viennent de filières littéraires. Beaucoup n’ont pas fait de maths depuis le lycée », souligne-t-elle. Résultat : des enseignants diplômés, mais pas forcément outillés pour transmettre les savoirs de base. Le système français conserve aussi une approche très académique des mathématiques. « Des collègues sont fiers de faire de la géométrie complexe. Mais pour Pisa, les maths, ce sont des skills for life », note-t-elle. Comprendre : des compétences utiles au quotidien, et pas seulement à Polytechnique.
La France reste marquée par un modèle élitiste : former une minorité brillante plutôt que garantir un socle commun solide. Un choix qui laisse sur le carreau une partie des élèves, et finit par peser sur l’ensemble du système. « Les faibles sont très faibles, les bons très bons. Mais dans la vie réelle, on a besoin de gens capables d’utiliser les maths du quotidien », résume Duru-Bellat. Alors que le débat éducatif ne cesse de s’intensifier, la question n’est plus seulement de trouver la meilleure méthode. Il s’agit de savoir si l’école française peut encore remplir sa mission première : former les citoyens de demain, tous les citoyens.
Source : Lire Plus






