Le JDD. L’union des droites revient régulièrement dans le débat public. Est-ce qu’elle trouve un écho chez les électeurs ?
Jean-Yves Camus. Quand on interroge les électeurs issus des différentes familles de la droite, on observe qu’ils y sont majoritairement favorables : plus de 80 % chez ceux de Reconquête et près de 60 % chez les électeurs des Républicains comme du RN. Mais la question centrale est celle de la traduction concrète de cette volonté. Quand on regarde l’histoire des droites françaises, on constate que l’union ne se forme que face à un péril. C’est une constante. Dans les années 1930, par exemple, même si cela n’a rien à voir avec le fascisme, il existait une sensibilité que l’on appelait les « nationaux ». Ils s’unissaient contre le Front populaire, contre le communisme. Mais cette convergence n’a jamais débouché sur une véritable union de toutes les droites.
Autrement dit, il faut une menace sérieuse pour provoquer ce rapprochement ?
Une menace à la fois sérieuse et imminente. Mais cela ne suffit pas. Si le terrain idéologique n’a pas été préparé en amont, si l’on se réunit uniquement contre un ennemi commun sans avoir défini ce que l’on veut mettre à la place, cela ne tient pas. C’est le risque d’une union de circonstance, sans vision. Par ailleurs, les droites françaises sont fragilisées par une vieille tentation plébiscitaire : elles cherchent l’homme providentiel. Or, quand aucun leader ne s’impose clairement et que plusieurs figures rivalisent, sur quelles bases rassemble-t-on ?
Mais les électeurs partagent tout de même un socle idéologique, non ?
La suite après cette publicité
Il y a effectivement un socle commun. Nous vivons un moment conservateur, marqué par trois grandes attentes qui structurent l’électorat de droite : la demande de frontières, la demande de sécurité et la demande d’identité. Sur ces thématiques, il existe une convergence réelle. Mais dès qu’on passe des principes aux propositions concrètes, les divergences explosent. Prenez les frontières. Reste-t-on dans l’Union européenne ou en sort-on ? Adopte-t-on le protectionnisme ou pas ? Accepte-t-on la primauté du droit européen ou refuse-t-on les injonctions de Bruxelles ? On le voit actuellement avec les prises de position du RN sur la règle des 3 %. Il y a des sensibilités communes, mais pas de programme commun.
Un candidat unique à droite en 2027, est-ce envisageable ?
Je ne le crois pas. Regardons la réalité : après les européennes, Marion Maréchal quitte Reconquête. Ce n’est pas un mouvement vers l’union, c’est un pas vers la désunion. Elle semble se rapprocher du RN. Et même entre RN et Reconquête, les perspectives d’union restent faibles. Au sein du RN lui-même, la situation est compliquée par l’épée de Damoclès judiciaire. Cela pousse le parti à maintenir plusieurs options ouvertes pour 2027 – ce qui, paradoxalement, n’est peut-être pas une faiblesse. En tout cas, il est trop tôt pour juger.
Mais mathématiquement, l’union est-elle la seule voie possible pour gagner ?
Pas forcément. Une addition mécanique ne suffit jamais, surtout si elle n’est pas précédée par un véritable travail idéologique. Le cas de Trump est instructif : son entourage a profité du mandat de Biden pour bâtir un socle cohérent. En France, deux obstacles majeurs subsistent. D’abord, l’absence de proportionnelle : elle empêche le RN de convertir sa force électorale en pleine puissance parlementaire. Ensuite, la structure sociologique de la droite française : elle reste une droite de notables, ancrée localement, mais peu encline aux alliances hors de son cercle.
« Ce n’est ni vous, ni moi – ni même le RN – qui désignera le candidat : ce sera la justice »
Et si l’union devenait possible, qui pourrait l’incarner ?
Le moment d’Éric Zemmour me semble derrière nous. Ce qu’il laissera, ce sont des formules et, au-delà, des idées qui ont infusé dans le débat public. Mais comme figure présidentielle pour 2027, je n’y crois pas. Reste le tandem Le Pen–Bardella. Là encore, ce n’est ni vous, ni moi – ni même le RN – qui désignera le candidat : ce sera la justice. Ce fait, en soi, est inédit. Les Français, en général, préfèrent à la présidentielle un candidat qui incarne une certaine ancienneté, une forme de maturité. Cela ne signifie pas que le moment de Jordan Bardella n’arrivera jamais. Quant à Édouard Philippe ou Bruno Retailleau, la question de leur compatibilité idéologique avec l’électorat des droites dites radicales reste entière – et plus encore pour le Vendéen. Édouard Philippe est sans doute un homme de droite, mais ses idées sont-elles compatibles avec celles de Reconquête ou du RN ? J’en doute fortement.
Source : Lire Plus






