Les circonstances sont bien peu de choses, le caractère est tout. Voici un axiome pour les siècles des siècles. Benjamin Constant a écrit Adolphe en 1816. On croit toujours que notre époque est unique. Et puis on entre dans une bibliothèque. Tout est déjà écrit. « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Trop de citations tuent la citation. Règle d’or pour qui commente l’actualité. Sur ce point, quelques conseils : évitez les citations latines sauf à passer pour un cuistre. Dommage ! « Ad augusta per angusta » vole un cran plus haut que sa traduction française, « Vers les sommets par des chemins étroits ». Évitez Lao-Tseu et Confucius sauf à passer pour un fat.
Évitez les pensées que chacun connaît par cœur. Elles ont perdu leur efficacité à force d’être rabâchées : « Quand le sage montre la Lune, l’idiot regarde le doigt. » Idem pour Nietzsche et son « Ce qui ne tue pas rend plus fort ». Pitié ! Cherchez autre chose ! Évitez enfin Paul Valéry que tous les préfets de la République convoquent à chaque inauguration d’un musée, d’un gymnase ou d’un chrysanthème. Tant pis pour Valéry, si pertinent quand il parle d’amour : « On ne se tait pas avec n’importe qui. »
Retrouvez toutes les chroniques de Pascal Praud
De Napoléon à de Gaulle
Je n’ai pas de carnet Moleskine pour noter toutes ces phrases qui font tilt. Longtemps Michèle Laroque a posté chaque jour sur X une citation. La dernière, signée Nelson Mandela, date du 30 juin 2024 : « Que vos choix soient le reflet de vos espoirs et non de vos peurs. » Michèle Laroque ne publie plus sur X. Je le regrette. Les mots des uns et des autres qu’un homme ou une femme exhume des archives dévoilent son âme. « Citer les pensées des autres, c’est regretter de ne pas les avoir trouvées soi-même. » Je vous laisse deviner qui a conclu ainsi.
Je traverse l’existence avec des phrases que j’ai serinées à mes filles : « Aide-toi ! Le ciel t’aidera », « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », « Les gens
sont ce qu’ils font », « La règle c’est qu’il n’y a pas de règle », « Si tu veux être heureux, sois-le ». « Tout fait sens » propose une lecture du monde en trois mots. Je ne sais pas toujours d’où viennent ces théorèmes ni qui les a écrits. Ils arrivent du temps des dissertations, qui sait. Quelques fragments d’un romancier, d’un philosophe devenaient un sujet.
La suite après cette publicité
Les lycéens de seconde ou de première que nous étions devions commenter. Je me souviens de mon professeur de français, Mademoiselle Pasquier. Elle enseignait depuis vingt-cinq ou trente ans à La Perverie, collège-lycée de Nantes pour filles qui ouvrit ses classes aux garçons l’année 1981. J’avais atterri là après qu’un autre établissement de la ville décide que je prenne la poudre d’escampette. À La Perverie, nous étions deux spécimens envoyés comme des cobayes parmi 25 ou 26 filles dont je pourrais faire l’appel : Bérénice, Laure-Anne, Clothilde, etc. L’autre garçon s’appelait Beauquin, Thierry Beauquin. J’ai tapé son nom sur google en écrivant ces lignes. Il est vigneron à Vallet (Loire-Atlantique). Il a repris l’affaire familiale et la production de muscadet. Je m’égare.
Les penseurs les plus sombres sont aussi les plus drôles
Mademoiselle Pasquier sanctionnait déjà mes digressions. Au temps des dissertations, il y eut une parole de Boris Vian que je n’ai pas oubliée : « Cette histoire est vraie puisque je l’ai inventée. » Vous avez quatre heures. J’espère avoir eu 13 ou 14 sur 20. Mademoiselle Pasquier sacquait. J’ai posé sur mon bureau depuis 1999, Maximes et Pensées de Napoléon, choisies et présentées par Honoré de Balzac, publié aux éditions de Fallois. L’exemplaire a coûté 75 francs. Napoléon est une mine. J’ai souvent répété à Bruno Roger-Petit cette fulgurance de l’empereur : « Sur cent favoris de rois, quatre-vingt-quinze ont été pendus. » Ce cher Bruno déjoue les statistiques. Il éteindra la lumière de l’aile Madame à l’Élysée. Au loto de la macronie, il est vainqueur. Le seul ?
Balzac a consigné 525 maximes. J’aimerais toutes les partager. « Il faut des fêtes bruyantes aux populations ; les sots aiment le bruit, et la multitude c’est les sots. » Napoléon ignorait le politiquement correct. Il préférait le cynisme du prince : « Le meilleur moyen de tenir sa parole est de ne jamais la donner. » À ceux que le pouvoir attire, qu’ils lisent de Gaulle ! « L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans éloignement. »
S’il existe des librairies entières d’exégèses sur les mœurs politiques, si Mazarin, Machiavel, Churchill, le prince de Ligne conseillent les présidents, les dictateurs ou plus simplement les chefs de bureau en mal de cheffer, j’avoue un faible pour les penseurs les plus sombres qui sont aussi les plus drôles. « Les enfants que je n’ai pas eus ne savent pas ce qu’ils me doivent. » Cioran écrivait aussi : « On peut aimer n’importe qui sauf son voisin. » Blaise Pascal peint l’homme à l’encre noire : « Si tous les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde. » Ces aphorismes sont des essences d’intelligence.
De Guitry à Audiard
Sacha Guitry consigne des vacheries en pente douce. Il a ausculté le mariage et l’amour : « Ma femme et moi avons été heureux vingt-cinq ans. C’est à cet âge que nous nous sommes rencontrés. » Michel Audiard a truffé ses dialogues de sentences pour l’éternité. Dans Garde à vue (1980) de Claude Miller, Michel Serrault répond à Lino Ventura : « Les médiocres se résignent à la réussite des êtres d’exception. Mais la réussite d’un des leurs, ça les exaspère. » Audiard avait lu les moralistes. Il est un enfant de Chamfort.
Claude Lelouch a le goût des formules populaires qui claquent comme un slogan publicitaire
La Bruyère a raison : « Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent. » Qui, aujourd’hui, inventerait une parole qui devienne proverbe ? La chanson, le théâtre, le cinéma ? « Souffrir par toi n’est pas souffrir », a chanté Julien Clerc sur un texte d’Étienne Roda-Gil.
Claude Lelouch a le goût des formules populaires qui claquent comme un slogan publicitaire : « Tout est compliqué avant d’être simple », martèle Gérard Lanvin à Marie Sara dans La Belle Histoire (1992).
Cette chronique tire à sa fin. Molière, Victor Hugo, Marcel Proust, Albert Camus sont absents. Je n’ai cité aucun auteur étranger. Je devine le plaisir que prend le lecteur à lire ces pensées, qu’elles fussent profondes, essentielles ou dérisoires. À vrai dire, les absurdes ont leur charme. Elles racontent un monde qui défie l’esprit de sérieux. « Un gentleman, c’est quelqu’un qui sait jouer de la cornemuse et qui n’en joue pas. » Merci Pierre Desproges ! Comme chacun sait : « Une journée sans rire est une journée de perdue. »
Source : Lire Plus






