Palais de justice de Mulhouse. Youssef, 22 ans, vient d’être placé sous contrôle judiciaire pour apologie du terrorisme. Son dossier fait état d’une « hostilité vis-à-vis des lois de la République » qui, selon lui, « ne sont pas en adéquation avec les lois divines ». Dans l’attente de son procès, il n’ira pas en détention provisoire, mais le juge d’instruction a ordonné le suivi du programme judiciaire de prévention des dérives radicales (PJPDR), sous peine de révocation de son contrôle judiciaire. Comme lui, 162 personnes ont été orientées, depuis 2015, vers ce dispositif destiné à prévenir les passages à l’acte violent des individus signalés pour adhésion à une idéologie extrême.
Le programme constitue une réponse judiciaire, pénale et éducative mise à disposition des magistrats : « Le PJPDR peut être appliqué en pré-sententiel (dans le cadre d’un contrôle judiciaire), en sententiel (en tant que sursis probatoire ordonné par la cour), ou en post-sententiel (en échange d’une libération conditionnelle ordonnée par le juge d’application des peines, par exemple) », explique Nicolas Heitz, procureur de la République. Dans ces cas-là, il revêt un caractère obligatoire, au risque de voir la sanction s’aggraver. Mais le magistrat peut aussi la décider comme une alternative aux poursuites, afin d’éviter le procès. Une fois acceptée, la mesure devient également contraignante.
Signalement des mineurs
Enfin, le programme peut être mis en place dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, toujours à la demande du juge, mais avec l’accord parental. Il s’adresse alors à des mineurs signalés dès les premiers signes de radicalisation. « Ces mineurs représentent 71 % des profils depuis 2015. Et depuis cinq ans, ils constituent l’écrasante majorité des personnes suivies, explique Mélodie Jamet, assistante en matière de prévention des actes de terrorisme du tribunal judiciaire de Mulhouse. Les assassinats de Samuel Paty puis de Dominique Bernard ont été des éléments déclencheurs dans la prise de conscience de l’éducation nationale, qui transmet de plus en plus de signalements. » Mélodie Jamet a un rôle clé : « Sous l’autorité du procureur, je centralise les informations transmises au parquet – issues des services de renseignement, de la police ou de l’Éducation nationale. J’analyse les parcours, puis je peux préconiser une orientation vers le programme au magistrat qui décide ou non de l’appliquer. »
C’est aussi elle, avec son homologue de Colmar, qui coordonne l’action de l’association Aléos, à qui revient la lourde tâche de décliner le PJPDR, en lien avec les services judiciaires. « Aléos a été fondée dans les années 1950 pour accueillir ceux qu’on appelait alors les travailleurs français musulmans, pour la plupart Algériens », explique son directeur Loïc Richard. Il légitime l’évolution de l’association en évoquant l’expérience de cette dernière « dans l’appréhension des publics multiculturels et le travail conjoint avec les institutions ».
« Ce dispositif est l’un des plus complets en France »
Une fois validé par le juge, le programme débute par une phase d’évaluation. « La durée a été fixée à trois mois pour avoir le temps de bien comprendre l’histoire familiale, le rapport à l’autorité, aux institutions, à la religion, aux idées politiques », explique Mélodie Jamet. La psychologue, l’éducateur, le médiateur cultuel ou encore le référent citoyenneté se relaient pour affiner le diagnostic. « Ce travail collectif permet de distinguer une provocation d’une idéologie structurée », ajoute-t-elle. Si le juge valide l’orientation, un accompagnement sur mesure est mis en place, dont la durée varie de quelques mois à cinq ans.
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« On prend le temps nécessaire pour “désengager” la personne. L’idée n’est pas de formater mais de remettre du doute là où la pensée est devenue rigide », explique Loïc Richard. Les outils sont multiples : entretiens poussés, ateliers d’apprentissage de l’histoire, de la citoyenneté ou du concept de laïcité ; sophrologie, stages éducatifs avec la police, visites du camp du Struthof pour sensibiliser à la Shoah. L’approche cultuelle est centrale, alors que 72 % des personnes qui suivent le stage sont liées à la mouvance islamiste (contre 20 % liées à l’ultradroite). À l’issue, une évaluation finale est réalisée, toujours sous le contrôle du juge qui peut relancer de nouvelles obligations de suivi si un doute subsiste. L’association a aussi vocation à accompagner certains bénéficiaires dans leur réinsertion sociale.
Une menace persistante
Quelles différences avec d’autres programmes de prévention de la radicalisation ? « Ce dispositif est l’un des plus complets et individualisés qui existent en France », se réjouit Nicolas Heitz. Inspiré d’un modèle néerlandais, ce programme lancé à l’initiative des chefs de la cour d’appel de Colmar veut répondre à une menace persistante en Alsace. Avec quels résultats ? « En dix ans, il n’y a eu aucun passage à l’acte des 162 personnes suivies, ce qui en soi est un succès », relève le procureur qui insiste sur « le coût modeste du PJPDR » : près de 110 000 euros en 2024, pour 45 suivis.
Cependant, aucune statistique ne permet d’indiquer le nombre de personnes qui passent entre les mailles du filet. Et pour anticiper toute interrogation à propos de l’attentat sur le marché de Mulhouse en février dernier, le magistrat ponctue : « Le suspect, Brahim A., n’avait pas suivi ce programme. Est-il nécessaire de rappeler que son obligation de quitter le territoire le rendait inéligible à tout programme de réinsertion ? »
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