Le JDD. Il y a quelques mois, vous dénonciez déjà le choix du gouvernement de confier la plateforme des appels d’offres à une entreprise canadienne…
Loïc Kervran. C’est désespérant. Après l’épisode que vous évoquez, on aurait pu espérer que les responsables politiques avaient enfin compris le message. Mais non. L’État s’apprête une nouvelle fois à signer un contrat avec une entreprise extra-européenne pour des prestations très sensibles. Je suis à la fois agacé et inquiet. Agacé par l’obstination et inquiet des risques que cela fait peser sur notre souveraineté numérique. Il faut continuer à alerter l’opinion sur ces décisions.
Pour autant sur les réseaux sociaux, les données ne sont-elles pas en source ouverte ?
Certes, les données sont publiques, mais pour surveiller un sujet, il faut indiquer à l’outil ce que vous cherchez. Cela revient à lui communiquer des informations internes, non publiques, souvent stratégiques. Exemple : vous savez que le Premier ministre doit se rendre dans un lieu sensible dans trois semaines. Vous lancez une veille spécifique sur ce déplacement. Cette demande révèle une information confidentielle. Il y a aussi un usage opérationnel : les préfectures de police, l’Intérieur s’appuient sur ces outils dans des contextes de sécurité publique ou de lutte contre l’ingérence étrangère. Ce ne sont pas des usages anecdotiques. Cela implique des risques réels en matière de souveraineté et de sécurité numérique. On parle d’un marché extrêmement sensible, stratégique même, dans le contexte actuel de guerre informationnelle. Et pourtant, on écarte un acteur français, reconnu et compétent, au profit d’une entreprise contrôlée par les Américains. Il y a, à mon sens, une grande naïveté, mais surtout un cruel manque de sensibilité à la notion de souveraineté et à la protection des intérêts stratégiques français.
L’offre canadienne était 75 % moins chère. Cela ne peut-il pas justifier ce choix ?
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Il est possible que le critère budgétaire soit prépondérant. Mais, dans ce cas, il faut poser une question simple : peut-on vendre notre souveraineté pour des économies de court terme ? Un prix anormalement bas est souvent suspect. D’autant que, dans ce cas précis, Matignon est directement concerné par ce marché. Et surtout, il faut rappeler un point fondamental : Visibrain, un acteur français, était premier sur la partie technique. Ils sont non seulement plus performants, mais ils maîtrisent des réseaux comme TikTok, ce que ne fait pas Talkwalker.
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