Richard Lerosey aime sillonner les rues parisiennes à vélo, un bidon de Bonux sous le bras. Bonux, c’est cette marque de lessive devenue culte grâce au cadeau glissé dans chaque paquet, un geste qui faisait autrefois le bonheur des enfants. Aujourd’hui, ce patron discret, épris de son pays, en est devenu le propriétaire.
À travers Héritage, l’entreprise qu’il a cofondée en 2021 avec Daniel Chassagnon, il s’est donné pour mission de faire renaître des marques du quotidien délaissées mais ancrées dans notre mémoire collective, de leur redonner leurs lettres de noblesse et, ce faisant, de réancrer la production en France.
La mémoire ne suffit pas
L’histoire débute dans les années 2000, dans les arcanes des grands groupes internationaux. Lerosey, alors jeune cadre, observe une stratégie qui le dérange: « On voulait uniquement des marques milliardaires. On n’avait pas besoin des marques franco-françaises et on mettait tous nos moyens sur des marques qui avaient un potentiel mondial. »
Ce constat laisse place à une forme de révolte sourde: « Je me disais : ces joyaux partent, on perd notre patrimoine, et on le vend à on ne sait trop qui. Je me suis souvent surpris à penser que si un jour je pouvais acheter des marques, je le ferais aussi. » Vingt ans plus tard, il tiendra promesse. En 2021, il crée Héritage. Le projet, initialement baptisé « Jeanne », en hommage à la Pucelle d’Orléans, portait déjà en lui un idéal.
« On veut contribuer au relèvement de la France »
« Jeanne d’Arc a permis à la France de se relever. Modestement, à notre échelle, on veut contribuer au relèvement de la France aussi », explique-t-il. Appuyé par un fonds d’investissement, il rachète avec Daniel Chassagnon sept premières marques issues du patrimoine industriel français. En 2023, la célèbre lessive Bonux, créée en 1958, rejoint l’aventure. Elle connaît aujourd’hui une seconde naissance, tout comme – entre autres – le cirage Baranne, repris par Héritage et porteur d’un savoir-faire ancien que l’on pensait disparu.
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Mais réveiller la mémoire ne suffit pas, il s’agit aussi de réinventer. « Les marques d’antan rassurent les Français, rappelle le patron. Elles évoquent une certaine douceur de vivre. Mais on ne peut pas s’en contenter: nous devons les remettre au goût du jour, moderniser les produits, leurs emballages, leur image. » C’est précisément pour cela que l’entreprise s’appuie sur un réseau de partenaires, souvent des patrons d’usine, répartis aux quatre coins du territoire.
À Nemours, plus d’un million de bidons de Bonux sont sortis des chaînes en 2024; à Rémalard-en-Perche, Richard Lerosey a investi dans une ligne de production dédiée au cirage Baranne. A Boulogne-sur-Mer, dans le Perche, en Bretagne: autant de territoires où s’invente, au quotidien, la renaissance de l’industrie locale.
À contre-courant
Aujourd’hui, 87 % de la production des huit marques d’Héritage a été rapatriée en France. Et ce n’est qu’un début. « Nous sommes solidement implantés dans le secteur de l’entretien. Notre ambition est d’aller plus loin : investir les univers de la parfumerie, par exemple. Nous avons les moyens d’acquérir d’autres marques et d’explorer de nouveaux marchés », assure Richard Lerosey. L’entreprise va à contre-courant des modèles capitalistes traditionnels: ses 25 salariés sont tous actionnaires.
Fabrication 100 % française, circuits courts et savoir-faire local
Et le modèle semble porter ses fruits: presque aucun turnover, une loyauté et une cohésion d’équipe « exemplaires ». Bien sûr, les produits Héritage ne rivalisent pas toujours sur le plan tarifaire : certains affichent un prix à peine supérieur à celui de la grande distribution. Un surcoût modeste qui témoigne d’un vrai niveau d’exigence : fabrication 100 % française, circuits courts et savoir-faire local. « Quand on collecte de la cire d’abeille chez des apiculteurs français et qu’on l’intègre dans nos produits, les gens sentent qu’ils ont entre les mains un produit de qualité », assure l’entrepreneur.
Engouement inattendu
En quatre ans d’existence, la croissance d’Héritage est constante: + 50% de chiffre d’affaires depuis sa création. Signe que le pari séduit, bien au-delà des nostalgiques : l’annonce du retour de Bonux a provoqué un engouement inattendu, y compris auprès des plus jeunes. Les produits sont systématiquement repensés avec un même mot d’ordre: rester fidèle à l’esprit de la marque, tout en l’adaptant à notre époque.
Un surcoût modeste qui témoigne d’un vrai niveau d’exigence : fabrication 100 % française, circuits courts et savoir-faire local. « Quand on collecte de la cire d’abeille chez des apiculteurs français et qu’on l’intègre dans nos produits, les gens sentent qu’ils ont entre les mains un produit de qualité », assure l’entrepreneur.
Marié et père de cinq enfants, catholique pratiquant, Richard Lerosey est, d’après ceux qui le côtoient, un bâtisseur discret, capable de fédérer et de faire grandir les projets avec exigence. Son moteur : une foi profonde et la conviction que la réussite n’a de valeur que si elle est collective. « Nous mettons beaucoup de cœur à l’ouvrage. Ce qui, hélas, fait cruellement défaut aux multinationales », déplore-t-il.
Car Héritage ne se résume pas à un simple modèle économique. C’est un hommage à la France et à son savoir-faire, une volonté de repenser la consommation, de créer de la valeur autrement. Et de prouver qu’il est encore possible de faire grandir une entreprise tricolore sans céder aux standards mondialisés. À bon entendeur…
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