L’essentiel
- Vincent Jeanbrun, député LR du Val-de-Marne, propose d’élire les juges du siège pour « réparer le lien de confiance entre les citoyens et la justice ». Une mesure qui suscite la colère des magistrats.
- Ludovic Friat, président de l’USM, estime qu’il s’agit d’une « fausse bonne idée » et qu’elle risquerait de compromettre l’indépendance de la justice.
- Judith Allenbach, présidente du SM, ajoute que « la responsabilité des magistrats pourrait être renforcée sans passer nécessairement par l’élection des juges ». La magistrate propose plutôt d’augmenter les moyens de la justice.
La mesure, proposée par Vincent Jeanbrun, suscite la colère des magistrats. Le député LR du Val-de-Marne a présenté fin juin son plan pour « Réparer les quartiers, rétablir la République ». L’élu, qui est également maire de L’Haÿ-les-Roses, a mené ce travail après avoir été visé par une attaque à la voiture-bélier, quelques jours après la mort de Nahel en 2023. Parmi la vingtaine de propositions formulées, certaines concernent le monde judiciaire. Pour « réparer le lien de confiance entre les citoyens et la justice », il propose que les juges du siège soient élus comme c’est le cas « dans de nombreuses autres démocraties », – Etats-Unis, Suisse ou Japon. « Cette élection est une responsabilisation. Les juges ne seront pas élus sur des opinions politiques mais sur leur capacité à rendre une justice juste, rapide, compréhensible, humaine », écrit-il dans ce document de 36 pages.
« C’est typiquement une fausse bonne idée, explique à 20 Minutes Ludovic Friat, le président de l’Union syndicale des magistrats (USM). C’est quelque chose qui a déjà été essayé en France pendant la Révolution ». En 1790, en effet, il a été décidé d’élire les juges au suffrage populaire. Une mesure abandonnée en 1802 après l’arrivée de Napoléon au pouvoir. « On est vite revenus dessus, remarque Ludovic Friat. La justice, c’est quelque chose de technique qui demande des connaissances, un savoir-faire, une déontologie. » Le magistrat rappelle qu’il a aussi existé entre 1790 et 1959 des juges de paix, « des juges non professionnels qui géraient les petits litiges, notamment en matière civile ». « Mais on les a supprimés parce qu’on se plaignait de leur manque de professionnalisme et parce que c’était une magistrature de notable de province. »
Risque de corruption des narcotrafiquants
Surtout, souligne Ludovic Friat, élire les juges risquerait de mettre à mal l’indépendance même de la justice. « Pour être indépendant, il ne faut pas avoir été élu par les gens d’un quartier ou d’une ville ou avoir été financé par tel ou tel parti politique, ajoute le président de l’USM. Dans tous les dossiers un peu sensibles, comment peut-on imaginer qu’un juge irait à l’encontre des intérêts de ceux qui l’ont fait élire ? » Le président de l’USM s’inquiète également de l’intérêt que susciterait une telle élection vis-à-vis des trafiquants de drogue. « On parle beaucoup du narcotrafic et de ses moyens fantastiques. Ça serait un bon investissement, me semble-t-il, pour un malfaiteur que d’investir dans des magistrats. » Il rappelle qu’au Mexique, Silvia Delgado, l’une des avocates de Joaquin « Chapo » Guzman, a justement été élue juge il y a quelques jours.
Ludovic Friat en a « un peu assez de toutes ces attaques ou de ces propositions visant à dire que les magistrats, et plus largement les personnels judiciaires, font mal leur travail, que la justice est laxiste ». « Venez voir dans quelles conditions on travaille. Notre justice, qui est perfectible, ne fonctionne en grande partie que par le surinvestissement de tous les personnels, magistrats, greffiers ou avocats. Sinon, elle se serait effondrée depuis longtemps, insiste le président de l’USM. Plutôt que de penser à des réformes dignes du concours Lépine, donnez-nous de façon pérenne les moyens de fonctionner. »
Un problème d’« indépendance vis-à-vis des partis »
Qu’en dit le Syndicat de la magistrature ? « La responsabilité des magistrats pourrait être renforcée sans passer nécessairement par l’élection des juges », souligne Judith Allenbach, sa présidente. Cette proposition, explique-t-elle à 20 Minutes, « soulève deux difficultés ». D’abord, reprend-elle comme argument, « l’indépendance vis-à-vis des partis politiques et la compétence juridique, éthique et déontologique de ceux qui appliquent la règle de droit au nom du peuple ». « Mais si l’objectif est de réparer le lien avec la population, les politiques devraient surtout cesser de détruire tout ce qui garantit la confiance des citoyens dans leur justice », souligne la magistrate.
Selon Judith Allenbach, il serait nécessaire de « multiplier par deux le nombre de magistrats formés afin de garantir des décisions collégiales dans des délais décents », de « rétablir la participation des citoyens à la justice criminelle aujourd’hui presque réduite à néant », et de « moderniser sur le plan matériel pour que la population ait accès à ses juges rapidement et gratuitement ». Sans ça, élection des juges ou pas, « la justice ne retrouvera pas le temps et la sérénité pour protéger efficacement, prévenir la récidive et apaiser les rapports sociaux ».





