L’essentiel
- Le 27 juin 1987, Sabine Dumont, 8 ans, est enlevée à Bièvres (Essonne), violée et tuée. Depuis, malgré des investigations hors norme, son bourreau court toujours.
- Dans ce dossier, les proches de la victime fondent leurs espoirs sur une nouvelle technique : la généalogie génétique.
- Cette technique novatrice venue des Etats-Unis n’a été utilisée que dans un seul cold-case en France : celle du « prédateur des bois ».
Est-ce bientôt la fin d’un interminable cauchemar pour les proches de Sabine Dumont ? Voilà trente-huit ans que cette famille unie attend la résolution du crime dont a été victime la cadette de cette fratrie de six enfants. Le 27 juin 1987, Sabine, qui s’apprêtait à souffler sa neuvième bougie, a été enlevée et tuée à Bièvres, dans l’Essonne. Malgré d’intenses investigations, toutes les pistes ont mené à des impasses.
« Nous n’avons jamais cessé d’y croire, je suis convaincue que cet homme sera arrêté un jour. La question, c’est quand », confiait ce lundi Gaëlle, l’une des sœurs de la victime, en marge d’une conférence de presse organisée par les avocats de la famille, Me Didier Seban et Me Marine Allali. « En janvier, nous avons perdu notre père, il ne saura jamais qui a fait ça. Notre mère a désormais 81 ans », insiste celle qui avait 14 ans au moment du drame. Désormais, toute la famille place ses espoirs dans la généalogie génétique, une technique prometteuse qui n’a été utilisée qu’une seule fois en France.
« Ma mère l’a autorisée à y aller seule »
Pour comprendre l’affaire et ses méandres, il faut remonter le temps, se souvenir qu’à l’époque, l’utilisation de l’ADN dans les enquêtes criminelles relevait de la science-fiction. Le jour de sa disparition, Sabine, « le bébé de la famille », était partie acheter un tube de gouache blanche. « La librairie était située à 700 mètres de chez nous, se remémore Christine, une autre de ses sœurs, alors âgée de 20 ans. Pour la première fois, ma mère l’avait autorisée à y aller seule. » La fillette, passionnée de peinture, s’amusait à reproduire des toiles célèbres. Ce jour-là, elle s’était lancé un défi : peindre Danse à la ville, une œuvre de Renoir, pour l’offrir à sa sœur aînée Fabienne, qui venait d’accoucher. Un tableau qu’elle laissera inachevé.
« Très rapidement, ma mère a eu un mauvais pressentiment, elle a commencé à s’inquiéter », retrace Gaëlle. Être en retard, ce n’était pas le genre de Sabine. Surtout, au printemps 1987, trois autres petites filles ont été tuées en Ile-de-France. L’une d’elles, Hemma, 10 ans, a été enlevée à Malakoff, à 10 km de Bièvres. Les quatre affaires sont actuellement instruites par le pôle « cold case » de Nanterre. La famille, les amis puis tout le quartier partent à la recherche de l’enfant. « On devait fêter son anniversaire le soir même chez moi et cette soirée de fête s’est transformée en cauchemar. On l’a cherché toute la nuit », se souvient Christine.
Sabine s’est bien rendue à la librairie, c’est sur le chemin du retour qu’elle a été enlevée. Les chiens spécialisés ont marqué l’arrêt à environ 100 mètres du domicile familial. Le corps sans vie de la fillette sera retrouvé le lendemain, dans le village voisin, dénudé, partiellement brûlé. Elle a été violée puis étranglée. « On n’aurait jamais pu imaginer que trente-huit ans après, on serait toujours à courir derrière l’auteur de ce crime atroce », poursuit Christine.
« C’est bon, on le tient »
Dans cette affaire, les éléments matériels ne manquent pourtant pas. Du sperme a été isolé, du sang n’appartenant pas à Sabine a été retrouvé sous ses ongles. Mais c’est en 1999, alors que les analyses génétiques ont fait leur apparition dans les enquêtes criminelles, que l’enquête fait un bond. Un ADN en excellent état est prélevé sur le pull de l’enfant. « On s’est dit, “c’est bon, on le tient” », se souvient Gaëlle. Mais les désillusions s’enchaînent : toutes les pistes – notamment celle du tueur en série François Vérove, surnommé le Grêlé – s’avèrent être des impasses. Malgré les progrès de la science, l’ADN n’a jamais matché. Il faut bien s’y résoudre : ni l’auteur du crime, ni même des parents ou enfants ne figurent au fichier des empreintes génétiques.
L’espoir renaît en décembre 2022 lorsque la famille découvre l’histoire du « prédateur des bois ». Pendant vingt-cinq ans, cet homme soupçonné de cinq viols est resté insaisissable. Jusqu’à ce qu’il soit confondu grâce à une technique tout droit venu des Etats-Unis : la généalogie génétique. Sur le papier, rien de plus simple : il s’agit de comparer l’ADN retrouvé sur la scène de crime avec les bases de données des sites de génétique récréative, pour analyser ses origines, par exemple. « Cette technique permet d’établir des liens avec des cousins jusqu’au 6e degré, précise Me Marine Allali. A partir de là, des généalogistes vont isoler des profils compatibles. » Selon une étude canadienne parue en 2024, 650 affaires auraient été résolues grâce à cette technique.
Trois affaires transmises au FBI
Pourquoi, alors, est-ce aussi peu utilisé ? D’abord parce qu’il faut une trace ADN bien conservée pour pouvoir y avoir recours. Surtout parce que ces sites d’ADN récréatifs sont interdits en France. Même y participer est passible d’une amende. « On estime toutefois qu’environ 1,5 million de Français s’y sont inscrits, et comme les liens établis sont très larges, cela permet de couvrir quasiment toute la population française », poursuit l’avocate. Pour contourner l’interdiction, la justice française doit faire une demande d’entraide auprès des Etats-Unis pour que le FBI procède aux comparaisons. Mais le risque de recours juridique est fort : quelle est la recevabilité devant un tribunal d’une preuve qui s’appuie sur une technique interdite en France ? Cette question aurait assurément fait l’objet d’aptes débats au procès du « prédateur des bois », mais le suspect s’est suicidé dans sa cellule deux ans après sa mise en examen.
Il y a une dizaine de jours, la direction des affaires criminelles et de grâces a toutefois donné son feu vert pour que cette technique soit testée dans trois nouveaux dossiers : deux affaires de violeurs en série et l’enquête sur le meurtre de Sabine Dumont. « C’est un immense espoir pour nous, cela ouvre de nouvelles possibilités. Même si, évidemment, nous ne pouvons être sûrs de rien », insiste Christine. En 2023, une première demande de coopération a d’ailleurs échoué car le FBI a estimé que les marqueurs n’étaient pas suffisants. De nouvelles empreintes ont donc été réalisées. « Nous sommes totalement dépendants de la coopération internationale, analyse Me Didier Seban. C’est pour cette raison que nous aimerions que la France se dote, à terme, de sa propre base, en augmentant le nombre de marqueurs ADN enregistrés au Fnaeg *. »
* Le Fichier national automatisé des empreintes génétiques





