Chaque jour ou presque, un maire jette l’éponge. Depuis le début du mandat municipal en juillet 2020, 2 189 élus ont quitté leur poste avant terme, selon une étude de l’Observatoire de la démocratie de proximité (AMF – Cevipof) rendue publique ce 18 juin. Un chiffre record sous la Ve République, qui représente environ 6 % des 35 000 maires en France. Le phénomène s’est aggravé à mi-mandat, avec un pic en 2023 (613 démissions).
Ces départs ne résultent pas d’un désintérêt pour la vie publique, mais plutôt d’une usure généralisée. Usure des corps, des nerfs, des liens… L’étude du Cevipof identifie trois causes principales aux démissions volontaires : des tensions internes au sein des équipes municipales (31 %), des successions planifiées (13,7 %) et des problèmes de santé (18,2 %, en combinant les raisons physiques et psychiques). À cela s’ajoute un climat post-Covid, qui a rompu les dynamiques collectives et isolé les élus.
Indifférence des administrations
Claude Cohen, ancien maire de Mions, une commune de 15 000 habitants dans le Rhône, en a fait l’expérience. Il a démissionné en 2024 après quinze années de mandat. « J’étais en mairie tous les jours, de 8 h à 20h. 70 heures par semaine, pour 1 500 euros. J’ai tenu par amour de la ville, mais à 77 ans, j’ai fini par dire stop », confie-t-il au JDD.
« J’ai été la cible de violences constantes »
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Mais ce n’est pas seulement la charge de travail qui l’a conduit à partir. « À partir du 7-Octobre 2023, j’ai été la cible de violences morales constantes, d’attaques sur les réseaux, de messages haineux. Une affiche a même été collée avec écrit : “Soral avait raison.” Je pensais qu’en démissionnant, ça s’arrêterait. Mais non. » Aujourd’hui encore, l’ex-édile garde le souvenir amer d’un mandat devenu hostile : « On gère une ville, on se heurte à l’indifférence des administrations, on est seul face aux attaques. »
Si les violences physiques ne sont pas la cause principale des démissions – une quarantaine de cas selon les chercheurs –, leur impact est immense. Le cas de Yannick Morez, à Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), a marqué les esprits. En mars 2023, sa maison a été incendiée après qu’il a soutenu un projet de centre pour demandeurs d’asile. L’édile a démissionné deux mois plus tard. « J’ai compris que je ne pouvais plus protéger mes proches », explique-t-il un an après auprès de Ouest-France.
Pour la majorité silencieuse, ce n’est pas la violence, mais la lassitude qui domine. Le sentiment d’être impuissant, parfois méprisé, souvent entravé. 83 % des maires jugent ainsi leur mandat nocif pour leur santé, et 40 % disent travailler sous pression constante. Burn-out, solitude, paperasse kafkaïenne… Dans les petites communes comme dans les villes moyennes, l’engagement s’épuise. Les maires de Jouy-en-Josas, Périgueux ou Beuveille évoquent tous un effondrement personnel ou professionnel au moment de leur départ.
Un danger pour la République
Les communes de 1 000 à 3 500 habitants sont les plus touchées par cette vague. En Île-de-France, dans le Nord ou en Isère, certaines municipalités peinent déjà à constituer des listes en vue des élections de 2026. Le phénomène touche toutes les générations. Mais 53 % des démissionnaires effectuaient leur premier mandat. Ce que l’étude appelle « un effet de déception ».
Près d’un Français sur cinquante s’engage sur une liste municipale
Et pourtant, l’engagement local reste fort. Près d’un Français sur cinquante s’engage sur une liste municipale tous les six ans. Mais la réalité du mandat contraste avec les attentes : exigences techniques croissantes, administration rigide, responsabilités écrasantes. Le poste, hier encore considéré comme noble, devient aujourd’hui perçu comme ingrat, solitaire, parfois même dangereux.
Claude Cohen ne renie rien. « Le mandat de maire, c’est le plus beau. Mais il vous détruit. » Aujourd’hui, l’ancien élu a repris sa vie : « Je vais au supermarché avec mon épouse. Je pousse le chariot. Je suis libre. » Le sourire revient. Mais la République, elle, pourrait payer cher cette érosion lente de son premier maillon…
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