Vadim fait défiler frénétiquement photos et vidéos sur son iPhone. Il s’arrête sur l’une d’elles, incline son téléphone horizontalement et active le plein écran : « Regarde, c’est comme Call of Duty. » Le jeune soldat tend son smartphone, et s’enclenche une vidéo filmée à la première personne. En imagerie thermique, un engin roulant file à toute vitesse sur un sol boueux. Avec une habileté impressionnante, le petit véhicule multiplie les virages avant de prendre la direction d’une tranchée russe. Cent mètres à peine le séparent de trois silhouettes humaines confuses, parées d’un halo blanc. En un éclair, l’engin fonce et percute de plein fouet les soldats. L’image s’arrête, un drone prend le relais. La tranchée russe vient d’être soufflée et les silhouettes lumineuses ont été éparpillées sur des dizaines de mètres.
Vadim est membre des Da Vinci Wolves, une unité de l’armée ukrainienne spécialisée dans la guerre du futur. Lui pilote des robots. À roues ou à chenilles, ces engins téléguidés sont en train de réinventer le champ de bataille. Déminage, évacuations médicales, mais aussi sape des tranchées adverses, car les dégâts causés par ces automates sont colossaux. « Si les autres unités de l’armée adoptent ces systèmes, on pourrait changer le cours de la guerre », promet Vadim, persuadé que « la supériorité technologique permet d’inverser le rapport de force ».
Difficile de lui donner tort. Épuisée par trois ans de guerre, à court d’hommes et de munitions, l’armée ukrainienne résiste pourtant encore en fixant son ennemi, depuis des mois, dans la région du Donbass.
Sur ce territoire où se cristallisent les revendications des deux belligérants, la Russie, deuxième puissance militaire mondiale, n’avance qu’au prix de pertes massives. Derrière cette endurance, un « mur de drones » théorisé par le général Oleksandr Syrsky, un rempart aérien contre les offensives mécanisées russes. Ces petits aéronefs téléguidés peu coûteux ont révolutionné le champ de bataille et sont responsables, à eux seuls, de 70 % des pertes humaines et matérielles dans les deux camps.
« Ce n’est pas juste un autre moyen de faire la guerre, c’est une nouvelle culture du combat », explique Pavlo, officier chez les Da Vinci Wolves. Pour cet ingénieur reconverti dans le pilotage de drones, l’armée ukrainienne résiste grâce à son inventivité et à « la combinaison d’une armée endurante et professionnelle et de l’ingéniosité de la société civile, qui s’investit dans la guerre comme un seul homme ». Et les drones ne se limitent plus qu’à la ligne de front, comme l’a démontré l’opération « Toile d’araignée » menée par les services de renseignement ukrainiens, où des centaines de drones infiltrés sur le territoire russe ont causé la destruction d’une vingtaine d’avions de chasse et de bombardiers nucléaires russes.
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Les tueurs d’aujourd’hui sont plutôt issus de la culture geek, passionnés par l’informatique et les jeux vidéo
Loin de la caricature hollywoodienne de figures masculines chargées en testostérone, les tueurs d’aujourd’hui sont plutôt issus de la culture geek, passionnés par l’informatique et les jeux vidéo. Et le gouvernement ukrainien ne s’y trompe pas. Depuis l’année dernière, Kiev a développé le programme « Army of Drones », un système de comptage de points qui reprend les codes des jeux vidéo. En échange de ses performances sur le front, un droniste se voit récompensé par des « scores » lui permettant ensuite, grâce aux dons de civils ukrainiens, d’acquérir du matériel de meilleure qualité. Des unités spécialisées, comme les « Birds of Magyar », sont devenus de véritables phénomènes sur les réseaux sociaux où les vidéos de soldats adverses pulvérisés depuis les airs cumulent des centaines de milliers de vues.
« C’est une nouvelle forme de guerre à laquelle nous assistons, qui a surpris le monde entier, y compris ses propres belligérants », explique Alessandro Politi, président du NATO Defense College Foundation, seul think-tank au monde autorisé à porter le nom de l’Alliance atlantique. Selon lui, l’Ukraine « a fait preuve d’une souplesse d’adaptation dont peu d’armées auraient pu se permettre, avant que la Russie ne fasse de même ». Et l’Europe ? « Nous sommes lents, concède Politi, et nous manquons de généraux brillants, comme le fut Castelnau en France qui, à l’époque, avait su s’adapter en un rien de temps aux méthodes disruptives de l’armée allemande. »
Si un consensus européen se dégage autour d’un nécessaire réarmement, les commandes tardent encore, et la culture stratégique militaire du Vieux Continent peine à prendre le virage de la guerre moderne. « Les Européens continuent de s’appuyer sur le modèle d’armées dissuasives, mais sans se donner les moyens de dissuader réellement. Même la Pologne, pays le plus militariste du continent, refuse de rétablir un service militaire de deux ans », conclut Alessandro Politi.
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