En 2024, la Banque de France a dénombré plus de 66 000 défaillances d’entreprises. Au premier trimestre 2025, le cabinet Altares comptabilise 17 845 procédures collectives ouvertes (sauvegardes, redressements ou liquidations judiciaires), soit une hausse de 4,4 % des défaillances. Les raisons invoquées ? La hausse du coût de l’énergie, des taux d’intérêts, et le remboursement des aides liées au Covid.
Il n’est pas nécessaire d’être devin pour comprendre que ces chiffres vont se détériorer davantage au second trimestre, et d’ici à la fin de l’année. Les tribunaux de commerce, encombrés de dossiers de liquidation, le constatent déjà. Le contexte géopolitique mondial (instabilité, hausse du prix du pétrole avec l’Iran), le mercantilisme erratique et tripal de Donald Trump sont des facteurs aggravants évidents.
Tout comme l’impossibilité avérée de l’exécutif actuel à relever l’âge légal de la retraite, à faire des économies drastiques dans le budget pantagruélique de la Sécurité sociale, ou à réduire les embauches et le train de vie dispendieux d’un État balourd. La dérive est telle que l’auteur de ces lignes ne connaît aucun trésorier, directeur financier d’entreprise ou investisseur institutionnel qui aborde la rentrée sereinement. La possibilité d’une crise financière à la grecque cet automne (taux d’intérêts catapultés en 2010) est désormais dans les esprits, bientôt dans les cours, et déjà dans les décisions de non-investissements ou d’embauches différées. Le gouvernement Bayrou et l’Assemblée nationale sont capables de faire voter une loi ignoble sur la fin de vie (contre-proposition #18), mais pas de boucler un budget.
« Aide-toi, le Ciel ne t’aidera pas. » Puisqu’il ne faut plus rien attendre de bon du côté de l’État, de la représentation nationale ou du contexte géopolitique mondial, que peuvent faire les entreprises, grandes et petites, pour faire face à la possibilité d’un « mur de dettes » à payer, ou de défaillances annoncées ?
Le mauvais exemple de l’État
Elles peuvent faire beaucoup. Elles peuvent d’abord, à la manière notamment des entreprises allemandes du Mittelstand, ou de son équivalent italien, s’entraider. Non pas se faire la charité, mais tout simplement tordre le cou à l’une des pratiques françaises les plus détestables, les plus dangereuses économiquement et les plus injustes socialement. À savoir, attendre la dernière minute, attendre la énième relance implorée, pour que le grand client, le donneur d’ordres, consente à régler ses factures à son petit fournisseur.
La suite après cette publicité
55 % des PME françaises ne pas répondent pas aux appels d’offres publics
Depuis des générations, le mauvais exemple vient d’en haut : le pire des payeurs – qui est aussi le pire des employeurs, s’asseyant régulièrement sur le droit du travail –, c’est l’État. Qu’il s’agisse d’un jeune professeur correcteur de copies ayant du mal à boucler ses fins de mois ou d’une entreprise de BTP attendant quatre-vingts jours pour se faire régler sa facture (délai légal trente jours), le mauvais exemple donné par l’État pousse 55 % des PME françaises… à ne pas répondre à ses appels d’offres ! (étude du cabinet Arc, 2023).
Par réflexe culturel (être fort avec les faibles, faible avec les forts ?), mimétisme ou effet de cascade – si l’État ou les grands donneurs d’ordres vous payent avec retard, pourquoi payer vite vos fournisseurs ? – certaines entreprises privées françaises ne sont pas en reste, hélas.
Encourager les bons payeurs
Dans son rapport annuel 2023, l’Observatoire des délais de paiement a chiffré à 15 milliards d’euros le montant de trésorerie qui a manqué aux PME en 2022 du fait de ces factures non payées dans les temps. Derrière ces grands chiffres agglomérés se cachent des réalités très concrètes, très humaines. On diffère ou l’on annule une embauche, ou un investissement, tant que l’on n’est pas payé. L’angoisse existentielle de la tension de trésorerie, qu’un trésorier de grande entreprise ne connaîtra jamais, paralyse l’entrepreneur, inhibe la confiance. Elle se déploie sur tout son environnement : salariés, fournisseurs, famille. Elle est, pour dire les choses simplement, l’un des facteurs les plus pernicieux du mal français aujourd’hui. Elle est source de doute, de décroissance, de chômage, de faillites et d’angoisse de la faillite à venir. La bonne nouvelle ? Cette situation est très facilement réversible, à coût quasiment nul. La contre-proposition #19 s’articule autour du triptyque suivant :
– contraindre l’État, les collectivités publiques et les groupes et entreprises appartenant à des groupes de plus d’un milliard d’euros de revenus, de régler leurs factures à moins de trente jours. Si tous les salariés et fonctionnaires de France se font payer mensuellement, pourquoi en serait-il donc autrement pour l’artisan, l’entrepreneur, la TPE-PME ? Au delà du trentième jour, automatiser (SEPA) le paiement du taux d’intérêt légal (taux moratoire), de 7,21 % aujourd’hui pour les créances des particuliers.
– publier, par exemple via le Conseil national des experts-comptables ou les administrateurs judiciaires, un baromètre semestriel des pires et meilleurs payeurs de France, par industrie. Le « naming and shaming » est vertueux, dans une époque où certains grands groupes exhibent leur excellence sociétale dans des rapports annuels panégyriques sans fin – mais payent leurs fournisseurs à quatre-vingt-dix jours. Les entrepreneurs les plus agiles, notamment dans la technologie et les services numériques, travailleront plus naturellement avec les bons payeurs qu’avec les mauvais, rebattant intelligemment les cartes de la compétitivité d’une industrie.
– a contrario, publier et récompenser les entreprises ayant amélioré le plus fortement leurs délais de paiement dans une année.
L’émergence de ce nouveau KPI (indicateur clé de performance) pour les entreprises françaises serait particulièrement vertueux pour notre économie, notre société et notre pays. Dans les temps difficiles qui s’annoncent, où notre unité nationale est testée par des adversaires extérieurs comme intérieurs, ce nouveau comportement des entreprises françaises entre elles serait un puissant facteur de cohésion, de confiance et de croissance. N’attendons pas l’effet domino de faillites en cascade, ou l’impéritie budgétaire de notre État, pour agir.
Source : Lire Plus





