La figure du diable hante le monde et la vie de Régis Le Sommier. Grand reporter et collaborateur du JDD, habitué aux théâtres les plus dangereux, il arpente le monde depuis longtemps pour nous l’expliquer, et s’est aventuré chez ceux que l’Occident maudit, qui portent la marque du diable, et leur a même tendu un micro. Il a tiré de son expérience un ouvrage, Qui est le diable ? paru chez Max Milo. Le livre, franchement passionnant, croise réflexions historiques, analyses politiques et souvenirs.
Il est fidèle à la méthode que lui connaissent ceux qui le lisent et l’écoutent : rapporter les événements tels qu’ils se présentent à lui, en donnant aussi la parole à ceux qui ne pensent pas comme nous. Il le dit de belle manière : « J’ai la curiosité de l’autre camp. Je me dis toujours : ‘‘Là où je suis, ça se passe comme ça, mais comment est-ce, de l’autre côté ?” » Tout cela peut sembler bien beau mais devient très complexe lorsqu’il est question de la guerre et de la paix, comme on le voit aujourd’hui à propos de la Russie.
Le Sommier refuse la propagande de guerre de qui que ce soit, même des démocraties. Cela n’en fait pas un antidémocrate mais un homme sachant que les démocraties peuvent mentir et qu’elles le font d’autant mieux qu’elles ont bonne conscience de le faire. Et plus encore, il va à la rencontre des maudits, non pour leur polir les chaussures, mais pour avoir leur version des événements. Le Sommier, on le sait, a interviewé Bachar al-Assad, et il revient dans le livre sur cet entretien et tout ce qui l’a entouré.
« À quoi sert le journaliste s’il ne va pas directement confronter sur le terrain tel milicien, tel politique, tel dictateur ? »
Pour lui avoir tendu le micro, on a voulu faire de Le Sommier son propagandiste, et encore aujourd’hui ses détracteurs utilisent cela pour noircir sa réputation. Jamais Le Sommier ne s’était montré complaisant, et il lui avait posé les questions abruptes qui s’imposaient. Plus encore, il avait soutiré au dictateur syrien des informations, un authentique scoop de valeur planétaire, à propos de la collaboration secrète entre l’aviation syrienne et l’aviation occidentale, au sens large, dans les frappes contre l’État islamique.
Voilà toutefois que l’entretien vaut désormais contamination. Mais à quoi sert le journaliste s’il ne va pas directement confronter sur le terrain tel milicien, tel politique, tel dictateur ? Ceux qui sermonnent ainsi savent-ils seulement comment Joseph Kessel a fait son métier au siècle dernier ? On ne pardonnait pas à Le Sommier d’avoir raconté la situation en Syrie en ne se contentant pas de reprendre les communiqués de presse occidentaux. Le journalisme n’est-il qu’une branche de la propagande ?
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Au fil de l’ouvrage, Le Sommier raconte le visage changeant du diable, en Libye, en Irlande, en Serbie, et ailleurs. Nous n’en ressortons pas convaincu que Le Sommier est fasciné par la bête au point de se laisser hypnotiser par elle, mais simplement que notre journaliste est convaincu que l’être humain, partout, peut devenir monstrueux, atroce, et que l’homme, en général, lorsqu’il veut faire la paix, doit la faire avec ses ennemis.
Le monde est infiniment complexe. Dire cela ne nous conduit pas au relativisme, mais nous rappelle qu’il faut toujours savoir que nous ne saisissons jamais d’un seul regard une situation, et qu’elle se dérobe toujours en partie à nous. De là la nécessité d’aller y fourrer directement son nez, au risque de se salir. Je note que cela touche aussi l’univers des rats de bibliothèque, comme l’auteur de ces lignes. Si vous lisez les auteurs proscrits, on vous accusera aussi de contamination.
On en revient au temps présent. Le bilan du dernier quart de siècle est essentiellement celui des guerres néoconservatrices. L’Amérique a cru démocratiser le monde en le tapissant de bombes. On connaît le désastre irakien. L’Amérique a cru qu’en faisant tomber Saddam Hussein, elle pourrait appliquer la théorie des dominos démocratiques au Proche-Orient. Elle a plutôt ouvert la brèche de l’islamisme. C’est la grande leçon de Le Sommier : au pire peut toujours succéder l’encore pire.
Qui est le diable, l’autre ou l’Occident ?, Régis Le Sommier, Max Milo, 240 pages, 21, 90 euros.
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