Mercredi 9 juillet, 9 heures. Une vingtaine d’officiers de la brigade financière franchissent les portes du QG du Rassemblement national, dans le 16e arrondissement de Paris. Le siège du premier parti d’opposition, perquisitionné au cœur de l’été. L’image est forte. Et la fouille minutieuse : serveurs et ordinateurs saisis, agendas fouillés, échanges internes décortiqués. Tout est passé au crible par les enquêteurs. Depuis Bruxelles, Jordan Bardella dénonce aussitôt un « acharnement » et un « harcèlement » judiciaire. L’objet de cette descente spectaculaire ? Une enquête ouverte pour des soupçons de financement illégal lors des campagnes présidentielle, législative et européenne. « C’est tombé au pire moment. On préparait notre rentrée avant de partir en vacances, on se retrouve à commenter la saisie de disques durs », soupire un cadre du parti, abasourdi.
Le plus redoutable dans cette affaire n’est pas ce qu’elle recouvre mais davantage le climat qu’elle installe : un poison lent. Le RN proclame qu’il n’a rien à craindre sur le fond – « tout est remboursé, tout est déclaré, tout est validé par la CNCCFP », martèlent ses avocats. Mais l’accumulation des procédures judiciaires et l’incertitude du calendrier accentuent la pression d’un étau qui ne desserre jamais sa prise. « Ce n’est pas une affaire judiciaire, c’est une atmosphère », résume un député. Une atmosphère qui plombe, qui paralyse, et qui rend les perspectives politiques incertaines.
Dans les mois qui viennent, le RN doit pourtant accélérer. Préparer les municipales, solidifier ses bastions, sécuriser ses sortants, dénicher des têtes de liste crédibles. Et surtout, bâtir l’ossature de sa campagne présidentielle : quel candidat, quel programme, quelle coalition, quelle dynamique nationale ? Accomplir ces travaux d’Hercule avec des boulets judiciaires aux pieds… Compliqué. « On passe notre temps à parler justice au lieu de faire de la politique », grince un stratège. L’équipe politique s’est muée en cellule de crise, les cadres passent leurs journées à répondre aux journalistes police-justice, et Jordan Bardella lui-même est contraint de commenter les perquisitions dans ses propres bureaux au lieu de se consacrer à la pré-campagne présidentielle.
Le RN craint la porosité entre la justice et la gauche
Au RN, on ne parle plus de procédures en cours, mais d’un usage ciblé de la justice contre un adversaire politique. « Pourquoi nous ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi ces perquisitions, alors que tout est sur la table depuis deux ans ? » s’agace un élu. Et surtout : « Pourquoi aucune enquête sur les banques qui, depuis dix ans, nous ferment systématiquement l’accès au crédit ? » Car c’est là l’un des nœuds du dossier : les fameux « prêts d’habitude », aujourd’hui dans le viseur, ne sont pas un luxe, mais une contrainte. Faute d’emprunt bancaire, le RN s’est tourné vers les particuliers, les proches, les militants. Un système de débrouille toléré pendant des années, assumé, et qui lui est désormais reproché.
Autre inquiétude, plus sourde mais tout aussi sensible : celle d’un front organisé, uni, entre différents pouvoirs pour entraver le RN. « On ne crie pas au complot, mais soyons lucides : il existe une forme de porosité entre les institutions judiciaires, certaines rédactions très marquées à gauche, et une gauche culturelle dominante qui rêve encore de nous abattre par la voie des tribunaux », accuse un conseiller. L’offensive judiciaire serait menée dans le but de découvrir les secrets de stratégie du parti. « On n’a aucune envie de voir sortir nos notes internes, nos éléments de langage, notre organisation de campagne. Ce sont des données politiques sensibles. Et ce droit à la confidentialité devrait être garanti pour tous. »
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Face à cette double campagne, l’une électorale, l’autre judiciaire, le parti est sous pression. Une pression dont Marine Le Pen essaye de se protéger en prenant de la distance, notamment vis-à-vis du dernier épisode judiciaire. « C’est logique : elle a pris du champ depuis que Jordan tient la maison. Et surtout, ce sont ses bureaux à lui, son équipe, son parti, qui ont été fouillés de fond en comble », rassure un proche. En coulisses, deux lignes de riposte se dessinent. La première plaide pour une contre-offensive à la Trump : saturer l’espace médiatique, attaquer frontalement, politiser l’affaire. La seconde plaide pour le « calme des vieilles troupes », cher à Marine Le Pen : ne pas surjouer, ne pas s’indigner, « laisser les juges s’essouffler tout seuls ».
L’institutionnalisation du RN, patiemment construite depuis 2017, peut-elle résister à ce climat de suspicion permanente ? « Cette atmosphère ne nous fait pas peur du tout, assure un cadre du parti. Quoi qu’il arrive, nous serons au rendez-vous pour redonner le pouvoir aux Français. » Le Rassemblement national voulait faire campagne. Il devra en mener deux : l’une dans les urnes, l’autre devant les juges.
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