Un mois après le cambriolage historique du musée parisien, le quatrième homme supposé du commando a été placé en garde à vue. Si les exécutants présentent des profils peu aguerris, les investigations révèlent que le coup a été minutieusement préparé et explorent la piste de possibles commanditaires étrangers.
Les enquêteurs l’ont surnommé « XH4 ». Sur les images de vidéosurveillance du musée du Louvre, le dimanche 19 octobre au matin, on le voit patienter sur le quai François Mitterrand (Paris Ier) avec un complice pendant que deux autres malfaiteurs dévalisent la galerie d’Apollon de précieux joyaux de la Couronne de France. Plus tard, il est soupçonné d’avoir disparu à bord d’une mystérieuse camionnette blanche garée au sud de Paris, équipée de deux gyrophares… Un utilitaire objet de toutes les investigations, car c’est à l’intérieur de celui-ci que le butin faramineux — 88 millions d’euros et un coût inestimable pour le patrimoine français — aurait été transporté.
Ce mardi 25 novembre, l’enquête sur le casse du siècle vient de connaître un nouveau coup d’accélérateur. L’homme soupçonné d’être « XH4 » a été interpellé par les policiers de la Brigade de répression du banditisme (BRB) de Paris dans le département de la Mayenne sur commission rogatoire des juges d’instruction.
Placé en garde à vue pour « vol en bande organisée », le dernier membre présumé du commando de quatre voleurs est entendu dans les locaux de la police judiciaire parisienne. Originaire d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), comme ses trois autres complices, ce trentenaire était surveillé depuis plusieurs jours par les enquêteurs lors de ses déplacements à ses différents points de chute. Avec l’espoir de retrouver les précieux bijoux : en vain pour l’heure. Trois membres de son entourage, susceptibles de l’avoir côtoyé durant la traque, ont également été placés en garde à vue.
Deux amis de longue date
Les quatre membres présumés du commando présentent des profils de voleurs peu aguerris, parfois surprenants. S’ils sont déjà connus de la police, ils relèvent « d’une délinquance polymorphe que l’on n’associe pas au haut du spectre de la criminalité organisée », selon les termes de Laure Beccuau, procureure de la République de Paris. Tous se connaissent des quartiers d’Aubervilliers.
Il y a d’abord deux amis de longue date, ayant déjà commis des « coups » ensemble par le passé : Slimane K., 37 ans et arbitre de football dans le cadre de matchs amateurs du district de Seine-Saint-Denis, et Abdoulaye N., 39 ans et ex-gloire des réseaux sociaux pour ses figures acrobatiques en moto. Surnommé « Doudou Cross Bitume », ce dernier est « une véritable star » connue pour son investissement en faveur des cités, « un mec jouant avec les enfants du quartier », selon la déposition d’une proche entendue par la BRB.
Le troisième, Ayed G., 35 ans, est quant à lui un cousin maternel de Slimane K. C’est un Algérien arrivé en France en 2010 et installé à Aubervilliers depuis. Le dernier homme interpellé ce mardi serait, enfin, également un proche de Slimane K. et Abdoulaye N.
D’après les confidences en garde à vue de deux des trois voleurs présumés déjà mis en examen, cette équipe peu professionnelle aurait agi sur commande. Tous se sont montrés peu bavards sur leur rôle et l’organisation criminelle derrière le casse, semblant dépassés par l’affaire.
Un suspect assure qu’il pensait dévaliser une entreprise déserte
Ayed G. a ainsi fini par reconnaître être l’un des deux hommes ayant pénétré dans la galerie d’Apollon du musée du Louvre à l’aide d’une nacelle montée sur un camion. Là, il aurait fait main basse sur des bijoux qu’il aurait dissimulés dans une sacoche, sacoche aussitôt confisquée par ses complices à sa descente du monte-charge. Devant les enquêteurs, Ayed G. a assuré avoir été recruté la veille du casse par un homme dont il ne connaîtrait que le pseudonyme…
Quant à Abdoulaye N., il a admis lui aussi être entré dans le Louvre et avoir fait usage d’une disqueuse pour briser les vitrines. Toutefois, le trentenaire assure qu’il ignorait qu’il cambriolait le plus célèbre des musées français.
Quelques jours avant le casse, deux hommes « à l’accent slave » lui auraient proposé un contrat pour un banal cambriolage avec la promesse d’une rémunération à hauteur de 15 000 euros.
Le jour des faits, il affirme qu’il pensait dévaliser une entreprise déserte un dimanche lorsqu’il est entré au premier étage du Louvre, côté quai François Mitterrand… Donc à l’opposé de la célèbre entrée côté pyramide. Peu à l’aise, les deux hommes ont laissé un certain nombre de traces ADN durant leur méfait dans les vitrines de la galerie d’Apollon et même… un morceau de doudoune déchiré.
Le troisième voleur présumé, Slimane K., a quant à lui contesté son implication, assurant que la trace génétique lui appartenant retrouvée dans le camion aurait été « transportée » de manière involontaire.
Une flotte de téléphones « de guerre »
De source proche de l’enquête, les policiers prennent avec prudence les déclarations des malfaiteurs présumés mais n’excluent pas, effectivement, que les investigations mènent vers des commanditaires à l’étranger.
Une information pointant vers un milieu de collectionneurs d’art réputé est d’ailleurs parvenue à l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), des flics de l’art spécialisés cosaisis avec la BRB de Paris, sans que celle-ci ait pu, à ce stade, être recoupée.
Autre hypothèse : des donneurs d’ordre relevant de la criminalité organisée traditionnelle, aux motivations purement vénales et ayant sous-traité le casse à ces exécutants afin de ne pas être identifiés.
Reste que les investigations minutieuses de la centaine d’enquêteurs de la police judiciaire mobilisés ont permis de déterminer que le cambriolage n’a pas été improvisé. Au contraire : il a même nécessité des préparatifs plusieurs semaines avant le casse et l’usage de méthodes de dissimulation poussées. Ainsi, les policiers ont identifié une flotte de téléphones occultes, dites « de guerre ». L’une d’entre elles a servi à des repérages dans le secteur du musée du Louvre, dès les 22, 23 et 29 septembre, soit près d’un mois avant le vol retentissant.
Un rendez-vous donné à… Louvres
Une autre ligne, ouverte le 2 octobre, a été consacrée exclusivement à la préparation du vol du camion nacelle. L’examen du relevé téléphonique démontre que, durant sa courte période d’activité, elle n’a contacté que des numéros de la société locatrice du monte-charge, une entreprise de la région parisienne.
Se faisant passer pour un individu dénommé « Oussaman Diallo », l’utilisateur de la ligne avait fixé pour le prêt du camion-nacelle un lieu de rendez-vous, préalablement repéré la veille, le 10 octobre dans la ville de… Louvres (Val-d’Oise) à un employé de la société.
Là, deux hommes cagoulés et casqués avaient menacé le commercial, lui avaient intimé de leur remettre les clefs et de leur montrer où était situé le « trackeur » sur le camion. Un outil permettant de pister les déplacements du véhicule, qu’ils avaient aussitôt arraché.
Enfin, une ligne découverte comme appartenant à un suspect avait cette intrigante particularité de fonctionner sans carte SIM et d’avoir été utilisée seulement grâce à des connexions Wifi à des box Internet. La volonté du commando de dissimuler ses préparatifs et ses traces ne fait aucun doute. Et le casse semble avoir été pensé plusieurs semaines auparavant.
Utilitaire blanc
Le 19 octobre, jour du vol au Louvre, les images de vidéosurveillance révèlent que deux membres du commando équipés de casques ont quitté Aubervilliers vers 7h30, l’un au guidon d’un scooter de marque Burgman, l’autre au volant d’un utilitaire blanc, un Citroën Berlingo. Ils se rendent à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) où ils garent le van dans une rue proche de commerces. Le duo retourne ensuite à Aubervilliers.
Vers 8 heures 30, les caméras montrent à nouveau le scooter Burgman sortir de la commune suivi, cette fois-ci, par le camion-nacelle dérobé. Direction le quartier de Bercy, dans le XIIe arrondissement de Paris.
Au même moment, un troisième membre du commando pilotant un scooter BMW est aperçu à Aubervilliers, qu’il traverse pour rejoindre la commune de Pantin. Sur place, l’homme abandonne le deux-roues dans une rue discrète avant d’enfourcher un scooter Yamaha conduit par un quatrième complice arrivé sur place quasiment à la minute près. Le duo fonce aussitôt rejoindre le reste de l’équipe à Bercy, point de ralliement, avant que les quatre malfaiteurs partent vers le musée du Louvre en formation convoi : deux scooters suivis par le camion nacelle.
Après le cambriolage historique, qui a duré quatre minutes à peine, le commando s’enfuit dans la précipitation, visiblement paniqué par l’arrivée imminente de la police. Ils abandonnent sur place la nacelle et le camion qu’ils tentent d’incendier, ainsi qu’un linge devant servir à créer un incendie, un casque, une disqueuse… Et la couronne de l’impératrice Eugénie, joyau mémorable de France, retrouvée endommagée sous les douves du Louvre.
L’espoir d’obtenir des informations sur les bijoux
À bord des deux scooters Burgman et Yamaha, les quatre hommes regagnent par les quais la ville d’Ivry-sur-Seine où avait été positionné dans la matinée le fameux utilitaire blanc. L’équipe se sépare alors en deux groupes, deux voleurs s’enfuient avec les deux-roues, deux autres montent à bord du Berlingo, équipé étrangement de deux gyrophares.
Ces derniers prennent la direction de l’ouest de Paris, vraisemblablement avec le méga-butin à 88 millions d’euros, composé de huit bijoux historiques sertis de milliers de diamants, émeraudes et autres pierres précieuses. C’est à ce moment-là que la trace des bijoux se perd.
Ce mardi, les enquêteurs recherchaient toujours les joyaux de la Couronne de France et espéraient que l’homme susceptible de les avoir transportés, le quatrième homme, puisse livrer des informations précieuses pour les localiser.
« La justice saura tenir compte de l’absence de préjudice de ce cambriolage », avait lancé la procureure de Paris, Laure Beccuau, à destination de l’organisation criminelle, espérant une restitution volontaire des bijoux.







