Un affrontement d’une violence inouïe a éclaté dans le box lorsque l’un des cinq accusés a reconnu le rôle central d’Elijah, désigné par l’enquête comme le tireur. L’audience reprendra ce mardi à huis clos.
Et soudain le chaos. La tension accumulée au fil des jours de l’audience aux assises pour le meurtre de Mansour, 20 ans, tué en 2022 à Gentilly (Val-de-Marne), a fini par éclater dans le box des accusés, par une bagarre d’une violence inouïe. Qui s’est poursuivie dans le hall du tribunal judiciaire de Créteil lundi 1er décembre. Le président a suspendu l’audience, qui se poursuivra à huis clos dès ce mardi matin.
Il est environ 18 heures ce lundi soir dans le silence feutré de la cour d’assises. La salle, comme depuis le début de l’après-midi, est pleine. Droit devant le micro, derrière la vitre du box des accusés, Sofiane répond aux questions du président.
Vêtu d’un survêtement Adidas noir, vert et violet, il louvoie entre les interrogations. S’il reconnaît avoir été dans le véhicule d’où est sorti le tireur ayant abattu Mansour de deux coups de fusils, il refuse de donner l’identité des autres occupants.
« C’est à cause de lui qu’on est tous en prison »
« J’ai des petits frères, des petites sœurs. J’ai peur des représailles, j’ai une maman qui est très malade », dit-il à la barre. Lunettes à la main, voix posée, regard fixe, le président relance. « Dans une de vos auditions, vous disiez pourtant : Je ne pensais pas qu’il allait se procurer une arme qui pouvait donner la mort. Si je l’avais vu, je ne serais pas resté. »
Le sous-entendu est clair pour tout le monde : Sofiane a déjà reconnu à demi-mot qu’Elijah — accusé d’être le tireur ayant abattu Mansour, ce qu’il conteste — s’était procuré une arme, et qu’il était dans la voiture. « Ils n’auraient jamais dû être dans le même box », souffle une des robes noires.
La voix de l’accusé faiblit. Le président relance encore. Le jeune homme finit par craquer. « C’est à cause de lui qu’on est tous en prison ! Tout le monde n’a rien à voir ! »
Assis derrière Sofiane, le jeune homme de 23 ans, incarcéré dans un département pour détenus violents, intervient. « J’ai quoi à voir moi ? » Il n’en fallait pas plus. Sofiane se retourne et met un premier coup de pied dans la figure d’Elijah. Le reste est un énorme imbroglio de coups échangés entre les trois accusés présents dans le box, Elijah, Sofiane et Emmanuel. Coups de poing, coups de pied, et même des coups de chaises sont donnés.
La bagarre se poursuit dans le hall
Un avocat présent à l’audience confie « n’avoir jamais vu un tel niveau de violence dans un box ». Et de l’aveu de plusieurs spectateurs, les renforts ont tardé à arriver. Les secondes ont en effet paru de longues minutes alors que le choc et la sidération envahissaient la salle d’audience.
Le président a rapidement suspendu la séance, et demandé à évacuer la salle. Les proches des accusés, de la victime et Fouad, seul coaccusé à comparaître libre, se sont donc retrouvés dans le hall. Et les choses ont tourné à l’affrontement général avant qu’un important dispositif policier ne permette au calme de revenir.
À l’issue de la rixe, Fouad est apparu « bien amoché », dit un avocat. Le grand frère de Mansour avait, lui aussi, du sang sur le visage. L’audience doit reprendre ce mardi, sans public, à condition, rappelle une conseil, que les accusés soient en état. Ils doivent voir un médecin dans la soirée. Selon une source policière, il y aurait uniquement deux blessés légers et aucun fonctionnaire. Personne n’a été interpellé, précise cette même source en début de soirée.
La « peur des représailles » pèse sur le procès
Le huis clos permettra peut-être aux langues de se délier, alors que depuis le début du procès, le 24 novembre, plusieurs des personnes ayant déposé à la barre ont évoqué une peur des représailles. Dès l’ouverture, Y., qui nie avoir été présent et dont Sofiane a indiqué qu’il n’était pas dans la voiture, a évoqué les « menaces » qu’il a subies en détention mais a refusé d’en dire plus.
Plus tard, Moussa, qui a comparu sous le statut de témoin assisté, a semblé lui aussi retenir ses mots. Largement impliqué dans le trafic de stupéfiants, il était présent aux côtés des accusés tout au long des faits, dans un autre véhicule. Il a échangé plusieurs fois avec « Bomaye », le surnom donné à Elijah, et a forcément vu qui se trouvait dans le Renault Captur au cœur de l’enquête. « Je ne préfère identifier personne par peur des représailles. Si je les reconnais, c’est mort pour moi », lui avait-il alors répondu ce vendredi. « Ce sont des raisonnements comme ça qui font que, chaque jour, dans les rues de France, on continue à avoir des morts », a déploré le président.
Ce lundi, Fouad a lui aussi tenté de se maintenir sur cette fine ligne de crête. Le jeune homme a reconnu avoir conduit la voiture, identifié Sofiane — le seul à avoir reconnu au préalable sa présence dans le véhicule —, mais a dit ne pas « vouloir » donner les identités des autres passagers. « C’est impossible, je suis désolé. J’ai des enfants, une femme. Je les protège. » Quitte, donc, à risquer d’être condamné à la prison à perpétuité, puisque tous les cinq sont renvoyés devant la cour d’assises pour assassinat.
Cette chape de silence, faite d’esquives acrobatiques et de contradictions manifestes, a maintenu chacun sous pression depuis bientôt quatre ans. Elle aura fini par voler en éclats dans un accès de violence.







