À qui profite le crime ? L’annonce du limogeage de Luc Rémont, PDG d’EDF au bilan solide, soulève des questions. D’abord dans la façon de faire : débarquer un dirigeant de grande entreprise trois mois avant la fin de son mandat est un camouflet d’une rare violence. Luc Rémont avait su restaurer les comptes (dette contenue) et les capacités de production d’EDF (+30 %), entreprise particulièrement malmenée par son actionnaire public. Avec la fermeture de Fessenheim décidée par François Hollande et celle de quatorze autres réacteurs nucléaires par Emmanuel Macron en 2017, produire de l’énergie nucléaire en France relève du miracle, de l’acte de foi ; en tout cas de vrais actes de résistance par rapport à ces décisions absurdes et contre-productives.
De la start-up nation au syndic de faillite, le parcours de l’exécutif actuel dans la gestion de notre économie et de nos finances ne laisse pas d’interroger. Il y a d’abord les mille milliards d’euros de dette publique supplémentaires entre 2017 et 2024 ; les 140 milliards dilapidés pendant le Covid – aucun autre pays de l’OCDE n’aura autant dépensé d’argent, rapporté à son PIB. Pour quel bénéfice ? Pour la nation française, on ne voit pas très bien : le taux de chômage actuel, à 7,3 %, est le double du taux de chômage allemand, et un point supérieur à celui de l’Italie ou de la zone euro en moyenne.
L’explosion de la dette n’a pas non plus enrichi le pays à la mesure de la prodigalité de ses dirigeants : depuis 2017, le PIB de la France a augmenté de moins de 600 milliards d’euros pour 1 000 milliards de dette supplémentaire, tandis que l’Allemagne faisait mieux que l’inverse : pour 500 milliards de dette supplémentaire, 1 300 milliards de PIB créés ! D’un côté, la distribution socialiste de l’argent des autres, à perte. De l’autre, l’investissement dans la richesse future.
Bras de fer et bras d’honneur
Sans doute est-ce parce qu’il s’est opposé à cette façon de faire que Luc Rémont a été débarqué. Face aux injonctions contradictoires de l’exécutif bicéphale dirigeant l’économie française depuis 2017 (Emmanuel Macron et Alexis Kohler), il a fallu choisir. D’un côté : restaurer les capacités productives et bénéficiaires d’EDF afin, notamment, de financer un plan d’investissements dans le réseau électrique français de… 100 milliards d’euros d’ici 2040. Plus EDF peut vendre cher ou au prix son électricité aux industriels, moins la facture sera élevée pour les Français.
De l’autre, EDF, propriété à 100 % de l’État, donc des Français, aurait « une mission de service public sur la compétitivité de l’industrie française ». Ce n’est pas la loi qui le dit mais le PDG du groupe Saint-Gobain, en pointe dans la campagne pour limoger Luc Rémont, notamment après avoir signifié qu’EDF faisait un « bras d’honneur » à l’industrie française. C’est donc cette voix là que l’exécutif élyséen a choisi d’entendre ou de solliciter plutôt que l’autre : celle de l’intérêt général, de la fortification d’EDF et de la maîtrise de la facture énergétique pour tous les Français, de toutes conditions. Il est donc demandé à EDF de vendre son électricité à perte pour favoriser les marges d’exploitation déjà à deux chiffres d’un groupe mondial, dont les deux tiers des actionnaires sont étrangers, et pourront bénéficier cette année encore d’un dividende de plus d’un milliard d’euros.
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Face à ces dérives graves de l’État-actionnaire, on peut émettre la contre-proposition suivante pour le prochain exécutif : une réforme en profondeur de la gouvernance de l’économie française par l’État, en particulier des entreprises et participations publiques.
Pas de contre-pouvoir efficace
De l’explosion de la dette à la distribution d’argent magique, ou la fragilisation d’entreprises essentielles comme EDF, la SNCF, la RATP… aucun contre-pouvoir n’a permis d’encadrer le couple élyséen Macron-Kohler dans ses décisions préjudiciables à l’ensemble des Français. Pourquoi Matignon, Bercy ou le ministère de la Transition écologique (direction de l’énergie) ont laissé faire sur EDF ? Quand bien même deux génies, aidés d’une intelligence artificielle de dernier cri, piloteraient seuls l’économie française, peut-on être compétent et clairvoyant en étant si loin de la réalité des entreprises ? Des gens ? Du terrain ? En traitant chaque sujet comme un dossier de papier à étudier, des lobbyistes à recevoir, avant de descendre le parapheur à signatures ?
Enfin, et peut-être surtout, il faut que l’État convienne, de son sommet jusque dans ses administrations, qu’il ne peut être omniscient ou omnipotent. S’il est très attendu sur les vrais sujets des Français – notre sécurité, notre santé, notre défense, le logement (Caisse des dépôts) –, il n’est plus attendu, mais alors plus du tout, dans la gestion des entreprises des secteurs concurrentiels. EDF et nos entreprises aujourd’hui détenues par l’État méritent mieux que le destin du Crédit lyonnais des années 1990, piloté par un haut fonctionnaire à l’hubris incontrôlable, promouvant « le pouvoir de dire oui » à tout et tous, jusqu’à la faillite de la banque.
180 milliards d’euros : valeur des 83 participations par l’État dans l’APE
Le prochain exécutif pourra se donner comme mission de passer au crible l’ensemble des participations de l’État, à 5 % comme à 100 % du capital, pour décider quelles sont celles d’une importance vitale pour la nation, requérant un droit de regard ou une forme de contrôle, pas nécessairement capitalistique, de la part de l’État. Toutes les autres ont vocation à être privatisées. Non pas par sanction ou par idéologie, mais tout simplement parce que les priorités de la nation sont ailleurs.

Et parce que l’État n’a plus aujourd’hui les moyens financiers et humains de gérer de tels ensembles, requérant des capitaux abondants, des professionnels et un actionnariat au clair avec lui-même, sans injonctions contradictoires comme pour EDF. Pour la seule Agence des participations de l’État, on parle de 83 participations valorisées 180 milliards d’euros. Pour une nation qui cherche à se désendetter et à se donner les moyens de passer des commandes d’armement par dizaines de milliards, à l’instar de nos partenaires allemands – plutôt que les bouts de ficelle actuels –, voilà un réservoir de capitaux inutilement fixés, dans lequel puiser abondamment.
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