
Le raz-de-marée politique provoqué par la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité a naturellement conduit de nombreux observateurs à dénoncer un « coup d’État des juges », selon la formule désormais consacrée. En réponse, plusieurs institutions représentant tant des juges que des avocats ont dénoncé des attaques illégitimes contre l’État de droit, telles que le Conseil supérieur de la magistrature, qui s’est immédiatement fendu d’un communiqué pour exprimer « son inquiétude face aux réactions virulentes suscitées par la décision » 1.
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Doit-on alors comprendre que l’État de droit interdit toute critique de notre système judiciaire ? Est-il encore possible de critiquer une décision de justice et le juge qui l’a rendu ? Sans aller jusqu’à demander aux juges de rendre des comptes, peuvent-ils au moins souffrir que nous émettions des réserves à l’égard de certaines de leurs décisions ?
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Il n’est désormais pas rare d’entendre qu’il serait illicite de commenter voire de critiquer les juges et leurs décisions. Pourtant, ceux qui ont foulé les bancs de la faculté de droit ont tous passé des heures à se livrer à l’exercice du commentaire d’arrêt. Une telle allégation n’est pas pour autant infondée. Une multitude de textes réprime en effet directement ou indirectement la critique, au nombre desquels l’outrage, la diffamation, l’injure et le discrédit.
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Justice rendue « au nom du peuple »
Il y a quelques semaines, c’est l’ancien député européen Jean-Yves Le Gallou qui en a fait les frais, alors qu’il comparaissait devant la XVIIe chambre correctionnelle pour avoir critiqué l’ordonnance d’un juge administratif suspendant l’expulsion de l’imam Iquioussen 2. Son crime ? S’être interrogé sur les motivations réelles du juge et notamment sa surinterprétation des textes et son militantisme idéologique.
« Prétendre à une totale neutralité du droit ou du juge est, sinon hypocrite, au moins mensonger »
La décision n’a pas encore été rendue, mais l’ancien député risque une condamnation à hauteur de 9 000 euros pour atteinte à l’honneur et à la considération du juge. S’opposer verbalement à l’immigration peut coûter cher dans notre pays… La décision critiquée a pourtant été annulée par le Conseil d’État quelques semaines plus tard 3.
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Si l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, doit bien évidemment être respectée en tant qu’institution dévolue à la préservation de l’ordre social, ceux qui, comme l’ancien garde des Sceaux Didier Migaud, répètent à cor et à cri que « s’en prendre aux magistrats, c’est s’en prendre à l’État de droit 4 », oublient que ce n’est pas dans le respect aveugle de la justice que réside la grandeur d’une société, mais dans sa capacité à la juger, à la soumettre à la critique pour préserver l’ordre et la vérité.
La nouvelle mystique de l’État de droit, brandie à l’envi pour parer à toute critique du système judiciaire, ne devrait pas effacer les mots, écrits en lettres majuscules au début de toute décision de justice : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS. Pourquoi ce peuple n’aurait-il pas le droit de critiquer une décision rendue en son nom ? Cicéron n’écrivait-il pas dans son célèbre Traité des Lois que le salut du peuple est la loi suprême (salus populi, suprema lex esto 5) ? Qui rend la justice au nom du peuple s’expose nécessairement à la critique du peuple.
Droit à l’information
La justice ne peut être intouchable lorsqu’elle se fait en son nom. Les instances – qui pour certaines ont publiquement pris position contre le RN lors de l’entre-deux tours – qui souhaitent aujourd’hui interdire toute critique des juges et des décisions de justice auraient-elles tenu le même discours au moment des débats sur l’abolition de la peine de mort ou lors de la publication du manifeste des 343 ? La justice n’est pas à l’abri du politique, et prétendre à une totale neutralité du droit ou du juge est, sinon hypocrite, au moins mensonger.
« Il est nécessaire que la justice soit transparente »
Pour qu’une critique juste puisse émerger et permette d’améliorer l’institution, il est nécessaire que la justice soit transparente et c’est là que le bât blesse puisque cette dernière fait tout pour avancer à pas feutrés. En ce sens, une frange de la magistrature s’était ainsi alarmée des avancées de l’intelligence artificielle, capable de croiser les décisions judiciaires avec les noms des magistrats. Cette inquiétude a trouvé un écho auprès du législateur de sorte que, depuis 2019, les décisions rendues accessibles au public peuvent désormais voir les noms des juges anonymisés.
Le droit à l’information se voit ainsi réduit à une justice sans nom ni visage. Au surplus, les données d’identité des magistrats ne peuvent faire l’objet d’une réutilisation ayant pour objet ou pour effet d’évaluer, d’analyser, de comparer ou de prédire leurs pratiques professionnelles, sous peine de sanctions pénales. Les magistrats sont de ce fait soustraits à toute critique, un tel privilège,n’existant pas pour les pouvoirs législatif et exécutif. Quid en outre du principe de publicité de la justice ? Cette opacité ne trahit-elle pas, en réalité, une forme de méfiance envers le peuple souverain ?
Ce refus de la critique est d’autant plus étonnant quand on sait que les juges ont pu considérer que les attaques portées à l’encontre des animateurs de télévision peuvent être proférées avec virulence car « constituant un contrepoids indispensable au pouvoir médiatique considérable » dont ils disposent 6. Si cette critique doit pouvoir s’exprimer avec une grande liberté de ton, y compris d’une façon virulente et acerbe en raison d’un pouvoir médiatique, pourquoi en serait-il autrement du pouvoir judiciaire ?
Ainsi, il serait bon de se rappeler les paroles de l’historien Gustave Lanson (« qui publie s’expose à la critique et reconnaît les droits de la critique ») que l’on pourrait paraphraser ainsi : celui qui juge s’expose au jugement et reconnaît les droits du jugement.
[1] « Défense de l’indépendance de l’autorité judiciaire à la suite des réactions au délibéré rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 31 mars 2025 », Communiqué du Conseil du 31 mars 2025
[2] Tribunal administratif de Paris, 5 août 2022, n° 2216413/9
[3] Conseil d’État, Juge des référés, formation collégiale, 30 août 2022, n° 466554, Inédit au recueil Lebon
[5]De legibus 3.8
[6] TGI Paris, 17e ch., 30 sept. 1996, Dumas c/Ponson.
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