La crise de régime est là. Nous sommes entrés dans une période de grand trouble. Nul ne peut dire ce qui va advenir. L’autorité judiciaire est gravement suspectée. Il y a un problème de légitimité des institutions – les murs porteurs. Et il y aura, demain, un problème de légitimité de la présidence de la République – la clé de voûte. L’élection sera entachée par les événements. La personne élue le sera malgré une condamnation ou grâce à une condamnation.
Je me souviens d’un mot lâché par Ursula von der Leyen, à la veille des élections italiennes : « Si les choses tournent mal, nous avons les outils. » Et la « boîte à outils », c’est le fameux État de droit, qui nous rappelle le mot de Camille Desmoulins : « Les tyrans malhabiles usent de la baïonnette. Les tyrans habiles usent de la loi. » Voici que s’avance vers nous le messianisme judiciaire. Le tribunal correctionnel de Paris a reconsidéré sa vocation : il a retrouvé la fibre des « tribuns de la plèbe » de la République romaine, quand la tribunicia potestas flanquait l’imperium, au nom de la défense du peuple contre les puissants.
La puissance tribunicienne est passée du forum au prétoire
La onzième chambre a inauguré une nouvelle ère : la puissance tribunicienne est passée du forum au prétoire. Avec, pour conséquence, un phénomène inouï, le double affaissement du pouvoir politique : l’affaissement du législatif, quand c’est le juge qui définit en quoi consiste le travail parlementaire, et l’affaissement de l’exécutif, quand c’est le juge qui choisit le casting de l’élection suprême.
Morale flottante
L’État de droit est une morale flottante qui a fait d’une justice magistrale une magistrature justicière. Les juges quittent l’esprit de mesure et font la morale. La profession, mangée par le corporatisme, est infiltrée par le Syndicat de la magistrature qui, sur son tableau de chasse, épingle les suspects. Il y a désormais trois statuts dans la toge : la magistrature debout, la magistrature assise et la magistrature couchée. Le barrage judiciaire a succédé au barrage républicain.
J’ai vu le basculement, en 2005, lors de la campagne référendaire sur le projet de « Constitution européenne ». Le Cercle de la raison pointa du doigt les tenants du « non », accusés de populisme. Les élites de la France mégalopolisée, nourries au lait de la culture post-nationale, retrouvèrent alors leur réflexe censitaire. Un jour, Emmanuel Macron m’a parlé de sa crainte de voir se former « une vague irrédentiste ». Elle est là.
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Dépossession
La sécession des élites se manifeste par quatre spoliations du peuple : la première est celle de l’outil de travail. C’est le passage d’un peuple producteur à un peuple consommateur. Il y a plus d’agrément à gouverner des consommateurs compulsifs que des producteurs indépendants. La nation devient une collection d’atomes interchangeables. On a juste besoin d’acheteurs. Si on manque d’atomes, on les fait venir du bout du monde. La fin de la classe ouvrière, la désertification des campagnes, la migration compensatoire forment les trois maillons du consumérisme mondialisé.
Les juges sont désormais chargés de guider le peuple dans ses choix…
La deuxième spoliation est celle de la propriété. Sous le prétexte du passage normatif d’un peuple polluant à un peuple climatophile. C’est la fin de la classe moyenne, celle qui possède des logements en propriété – les « passoires thermiques » – et des voitures à pots de CO2. Le peuple est réputé dégager de mauvaises fumées, de mauvaises odeurs. C’est un mauvais émissaire. Heureusement que les khmers verts montent la garde autour du Green Deal.
La troisième spoliation est celle de la souveraineté. Les juges sont chargés de guider le peuple dans ses choix. C’est le retour des candidatures officielles du temps de Napoléon III.
Mémoricide
Enfin, la spoliation de la mémoire vivante. On retire au peuple le droit de vivre ses affections. On développe un sentiment de honte. On fabrique, au milieu du Wokistan et de l’Islamistan, un pays d’exilés. Le pire exil, ce n’est pas d’être arraché à son pays, c’est d’y vivre et de n’y plus retrouver ce qui l’a fait aimer.
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