Nicolas Lerner, le patron des espions français (DGSE) leur a fait un jour cette confidence : « Vous êtes les yeux et les oreilles de la France dans le monde. » Ces 300 « globe-trotters » d’un genre particulier, représentants du ministère de l’Intérieur à l’étranger, sont déployés dans 78 pays au monde, sur les cinq continents. Certains d’entre eux ont des compétences régionales, portant la surface couverte à 165 pays. Ils produisent des notes, passent des renseignements, fluidifient les informations.
Surtout, ils sont à l’écoute des signaux faibles, des nouvelles routes de la drogue et des clandestins, préviennent d’un changement d’attitude d’un partenaire ou tirent la sonnette d’alarme sur les évolutions des conflits et des crises. Sophie Hatt, l’ancienne patronne du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), la protection rapprochée du président Macron, est aujourd’hui directrice de la direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS). Et elle est convaincue que « la sécurité des Français commence à l’étranger ».
Coopération avec les offices étrangères
En première ligne pendant les Jeux olympiques, notamment pour accueillir les 1 700 policiers étrangers, les attachés de sécurité intérieure (ASI) et leurs officiers de liaison ont transmis 230 000 messages l’année dernière, que ce soit vers la France ou, à l’inverse, vers les autorités locales. Commissaires ou commandants de police, lieutenants-colonels ou colonels de gendarmerie, les ASI représentent le ministère de l’Intérieur dans les ambassades et conseillent les diplomates en matière de sécurité. Ils ont surtout un rôle de facilitateur auprès des services d’enquête, sur place.
Le service a réalisé 4 000 assistances judiciaires aux enquêteurs
Dans le dossier Mohamed Amra, c’est par exemple l’attaché de sécurité qui a transmis les informations à la police roumaine, laquelle a ensuite procédé à son interpellation en février dernier. Parfois, certains officiers de liaison sont même intégrés au sein des services d’enquête locaux. Ainsi, un policier français est actuellement en poste au sein du New York City Police Department (NYPD), la police new-yorkaise. En échange, un officier américain occupe un bureau au sein du « Bastion », siège de la police judiciaire parisienne. « Il a son rond de serviette lors des réunions. Quand ça devient trop confidentiel, on lui demande de sortir. Les services le sollicitent régulièrement, c’est bien huilé », rapporte une source de la PJ.
Plus de 2 000 individus recherchés localisés
« Nos priorités sont la lutte contre la criminalité organisée et les trafics internationaux de stupéfiants, l’immigration irrégulière et la lutte contre le séparatisme », déroule Sophie Hatt. Selon le bilan d’activité 2024 de la DCIS, porté à la connaissance du JDD, le service a réalisé 4 000 assistances judiciaires aux enquêteurs, permis de détecter 2 050 individus recherchés et de refouler 10 000 candidats à l’entrée clandestine sur le territoire. Il s’agissait en majorité de « faux Français », qui utilisaient de faux passeports ou des visas contrefaits, interceptés grâce à la formation prodiguée par les policiers français aux services locaux, pour détecter les documents frauduleux : 4 000 fausses pièces ont été saisies en 2024.
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Parmi les 1 300 actions de coopération, près d’un tiers concernent la thématique de la criminalité organisée et des stupéfiants (28 %), 19 % la sécurité civile (assistance, feux de forêts…), 13 % le terrorisme et 11 % l’immigration. Un tiers des filières de passeurs démantelées par l’Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (Oltim) ont à l’origine un renseignement ou une information transmise par la DCIS. « Un des axes d’effort sera d’intensifier les liens avec les services français pour cibler davantage encore les objectifs du ministère de l’Intérieur », poursuit Sophie Hatt.
Si certaines ambassades sont très prisées – car prestigieuses – comme Rome, Londres ou Washington, d’autres sont beaucoup plus exposées. « On est généralement les derniers partis, avec l’ambassadeur », rapporte un ancien ASI dans une zone sensible. Ce fut le cas lors de la fermeture de la représentation française en Afghanistan il y a trois ans et demi. Ou il y a un an, quand le corps diplomatique tricolore s’est fait expulser de Niamey par la junte militaire au pouvoir au Niger. En Haïti, la situation est actuellement très compliquée : face aux gangs armés, dans un État failli dans lequel vivent environ 1 500 Français, l’ambassade est réduite au minimum vital. Les ASI doivent être prêts à enclencher une évacuation de ressortissants (Resevac) à tout moment.
En toute circonstance, les policiers français établis à l’étranger ont comme mission de choyer un précieux lien sécuritaire avec les autorités locales, y compris lorsque la relation diplomatique est tendue. Car la coopération policière fait partie des premières mesures de rapprochement, dès lors que le dégel s’amorce. Dernier exemple en date, l’Algérie : Emmanuel Macron et Abdelmadjib Tebboune ont annoncé dans un communiqué commun la reprise des échanges « en matière de sécurité et de migration ». Avant que Jean-Noël Barrot, le ministre des Affaires étrangères, ne prenne lui aussi cet exemple comme première étape de la reprise des relations diplomatiques.
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