Le JDNews. L’économiste Paul Krugman, prix Nobel d’économie, a récemment estimé que les politiques tarifaires de l’administration Trump étaient un « véritable désastre ». Donald Trump est-il, pour reprendre ses termes, « devenu complètement fou » ?
Guillaume Vuillemey. Les méthodes de Trump sont fracassantes et donnent l’impression d’une grande désorganisation. Certains des droits de douane annoncés début avril viennent déjà d’être suspendus, au moins temporairement. Moins de dix jours plus tard ! Mais pour comprendre ce qui se joue, il faut aller par-delà ces revirements.
Derrière Trump, il y a un projet structuré porté par certains économistes, dont Stephen Miran, son principal conseiller. Que l’on soit d’accord ou non avec ce projet, il vaut la peine d’être lu, pour comprendre ce à quoi nous assistons. La désindustrialisation y est vue comme un péril stratégique pour les États-Unis. Trump a par exemple déclaré que « si vous n’avez plus d’aciéries, vous n’êtes plus un pays ».
La très grande majorité des commentateurs alertent sur les dangers d’une guerre commerciale. Trump peut-il avoir raison contre la majorité des économistes ?
Si Trump entend réindustrialiser massivement les États-Unis, il devra offrir aux entreprises une grande stabilité du cadre tarifaire sur le long terme. Peu d’entrepreneurs déplaceront des usines de construction automobile ou de semi-conducteurs au gré d’annonces qui changent presque quotidiennement. À court terme, ce qui est très coûteux, plus que les droits de douane eux-mêmes, c’est l’immense incertitude qui les entoure. Trump parviendra-t-il à créer la stabilité nécessaire à une réindustrialisation durable ? Il est trop tôt pour le dire.
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Quant à savoir si cela sera un succès, tout dépend de ce que l’on regarde. Beaucoup d’économistes ont tendance à juger des bienfaits d’une politique sous l’angle de ses seuls bénéfices pour le consommateur. De ce point de vue, au moins à court terme, le consommateur américain va payer un peu plus cher. Mais, en un sens, Trump affirme qu’il est biaisé de voir les choses sous ce seul prisme : car, en ne considérant que les bienfaits du libre-échange pour les consommateurs, on oublie la perte massive des emplois et des savoir-faire industriels, qui fragilisent les intérêts jugés vitaux des États-Unis.
Le président américain fait-il des annonces au gré de ses humeurs ou bien selon une stratégie réfléchie ?
Pour Stephen Miran, la mise en place de droits de douane n’est que la première étape d’un projet plus ambitieux, qui doit se poursuivre par une réforme monétaire. Pour lui, la cause des maux actuels des États-Unis est, paradoxalement, la trop grande puissance du dollar. Depuis des décennies, sur la planète, la demande de dollars, pour effectuer des paiements ou stocker de l’épargne, est considérable. Cela pousse donc le cours du dollar à la hausse et pénalise les exportateurs américains, car les biens produits aux États-Unis sont vendus dans une monnaie « chère ».
D’après Miran, qui a probablement raison sur ce point, le statut privilégié du dollar dans le système monétaire mondial est la cause principale des déficits commerciaux récurrents que les États-Unis entretiennent depuis les années 1970. La feuille de route tracée par Miran inclut, dont une réforme monétaire, ces fameux « accords de Mar-a-Lago ». Mais les contours en restent très hypothétiques.
Pour justifier sa politique économique, Donald Trump a expliqué vouloir faire revenir les usines « ventre à terre ». Est-ce une bonne nouvelle pour les ouvriers américains ?
La Chine est entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) il y a bientôt vingt-cinq ans et, sur cette période, le chômage et la paupérisation des ouvriers aux États-Unis se sont accélérés. De nombreux travaux récents l’ont montré : dans les régions américaines les plus exposées au « choc chinois », le chômage, la pauvreté, le taux de suicide, etc., ont systématiquement augmenté.
« Ce n’est en rien comparable avec les krachs que nous avons connus en 2000 ou en 2008 »
Le pari de Trump est d’inverser cela. C’est très compliqué et les discours tonitruants ne suffisent évidemment pas. Stephen Miran reconnaît lui-même que « la voie est étroite » pour y parvenir. La difficulté est la suivante : Trump pourra ramener des emplois industriels, mais à quel prix ? En tant que travailleur, l’ouvrier sera gagnant ; mais en tant que consommateur, il perdra un peu. Quel sera l’effet net ? Il est tôt pour le dire.
Quelles peuvent être les répercussions sur les places boursières ?
Les bourses ont baissé, puis remonté un peu. Nous sommes aujourd’hui à un niveau comparable à celui qui prévalait en novembre dernier, quand Trump a été élu. Ce n’est donc pas encore catastrophique et en rien comparable avec les krachs que nous avons connus en 2000 ou en 2008. L’incertitude est la principale cause de la volatilité que nous connaissons. À moyen terme, si les droits de douane restent aux niveaux annoncés, il y aura cependant des effets réels, qui n’affecteront pas tous les secteurs d’activité de manière uniforme.
Bien entendu, les secteurs exportateurs perdront davantage de débouchés. À cet égard, des pans entiers de l’économie européenne sont en danger, car les exportations européennes vers les États-Unis sont très importantes (plus de 500 milliards d’euros par an). À moyen terme, l’enjeu principal pour les entreprises est la restructuration des chaînes de production à l’échelle mondiale pour s’adapter à cette nouvelle donne. L’Europe, elle, doit conserver son attractivité.
Qu’est-ce que « le protectionnisme positif » que vous prônez ?
Dans certains de mes travaux, j’ai mis en évidence ce que je nomme les « coûts cachés » de la mondialisation : notamment les ravages environnementaux et sociaux, rendus possibles par la nature « hors-sol » de trop nombreuses entreprises. Nous avons vécu plusieurs décennies de mondialisation, au cours desquelles les intérêts privés des grands acteurs mondialisés ont souvent prévalu au détriment les intérêts territorialisés des peuples et des communautés locales. À mes yeux, l’enjeu est de mettre en place un cadre institutionnel pour les échanges afin de permettre une meilleure protection des biens communs locaux. Un beau projet pour les Européens.
Le Temps de la démondialisation. Protéger les biens communs contre le libre-échange, Guillaume Vuillemey, Seuil, 112 pages, 11,80 euros.
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