C’est une période d’ascétisme pour les chrétiens, qui fait directement écho aux quarante jours que le Christ a passés dans le désert. C’est également une tradition catholique, aussi vieille que l’Église elle-même, puisque les premières mentions du quadragesima (quarantième, en latin) remontent à la fin du IIIe siècle. Période de pénitence par excellence pour les fidèles, incités au jeûne et à la privation avant de célébrer Pâques, le Carême, en plus de revêtir une symbolique religieuse évidente, est devenu, au fil des siècles, l’expression d’une certaine culture populaire européenne.
En Italie ou en Croatie, le Carême, ou la quaresima, est très souvent précédé du Carnaval, grande fête où se conjuguent danses, déguisements et repas frugaux afin de marquer la transition vers la privation. En Espagne ou dans le sud de la France, le Carême est accompagné par d’innombrables processions, notamment au moment de la Semaine sainte, témoignage encore vivace d’une puissante ferveur populaire.
Pourtant, la célébration du Carême a largement décliné depuis le milieu du XXe siècle. En France, la déchristianisation rampante de la société, additionnée à l’essor de la consommation de masse et de l’individualisme, a fait tomber la quadragesima en désuétude. En 1966, c’est le pape Paul VI lui-même qui, par une constitution apostolique, le Paenitemini, a largement assoupli les règles du Carême en matière de jeûne et de pénitence. Avec l’espoir, vain, de redonner à ce temps liturgique sa ferveur d’antan.
Le Diocèse de Saint-Denis enregistre la plus forte progression de baptisés
Mais l’heure du regain est-elle venue ? La question s’est posée le 5 mars dernier, jour du mercredi des Cendres, inaugurant le début du Carême. À Paris, les églises se sont étonnamment remplies, certaines allant même jusqu’à déborder sur la chaussée. Dans les paroisses, les curés et les diacres s’étonnaient de cet afflux inhabituel : familles, jeunes, moins jeunes, jamais le mercredi des Cendres n’avait autant séduit les foules. Et pour cause, l’Église catholique s’apprête à baptiser 17 500 nouveaux croyants. Une augmentation de… 45 % par rapport à l’année dernière. Un record, qui témoigne d’un véritable boom des conversions au catholicisme.
« Nous vivons un contexte sociétal particulièrement compliqué, qui pousse de nombreuses personnes à vouloir bâtir leur vie sur des bases différentes, estime Catherine Chevalier, membre de la Conférence des évêques de France (CEF). Beaucoup aspirent à de nouveaux repères, à la quête d’une paix profonde, avec un désir de spiritualité et de fraternité puissant ! » jure la responsable des accompagnements à la vie chrétienne de la CEF.
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L’évangélisation sur internet
Au cœur de cette dynamique catholique, la jeunesse. À Pâques, c’est 7 400 adolescents qui seront baptisés. Un chiffre en hausse constante depuis vingt ans, qui défie les polémiques sur les violences sexuelles au sein de l’Église. Et si les jeunes se tournent de plus en plus vers la foi chrétienne, c’est aussi parce que les outils d’évangélisation évoluent au gré de la société et de sa numérisation. Ces trois dernières années, les influenceurs catholiques ont explosé sur la toile, certains cumulant des millions de vues sur YouTube.
Le plus connu d’entre eux, le frère Paul-Adrien, un moine dominicain particulièrement à l’aise avec les codes des réseaux sociaux, affiche à lui seul près de 500 000 abonnés sur sa chaîne. Ses vidéos sur le Carême ont été visionnées des centaines de milliers de fois et les commentaires sous ses publications font état de nombreuses conversions.
Dans un autre genre, l’association Porta Fidei, elle aussi, connaît un franc succès. Le concept ? Faire vivre la parole catholique dans les quartiers populaires, où l’islam est dominant. Vidéos explicatives du C dyarême lors d’un repas au McDonald’s, analyse de l’Évangile devant une barre HLM, Porta Fidei utilise les « codes de la banlieue » pour évangéliser, sans complexe. « On s’adresse à des gens qui vivent, pour la plupart, entourés de musulmans. C’est pour ça qu’on parle beaucoup des textes bibliques, comme les musulmans parlent beaucoup des textes du Coran, afin que la parole chrétienne coïncide avec les repères sociologiques de nos membres », explique un bénévole de l’association. Dans les banlieues, le catholicisme progresse. En témoigne le diocèse de Saint-Denis, qui enregistre la plus forte progression, en France, de baptisés.
Après des années de retard, les catholiques ont su investir Internet et les médias sociaux, vivier massif d’âmes à convertir, notamment auprès d’une jeunesse française en quête de repères. Un sursaut tardif, là où l’islam, lui, s’est propagé sur les réseaux il y a déjà une dizaine d’années, via les « rappels islamiques », ces vidéos courtes enregistrées par des imams ou des influenceurs musulmans « rappelant » les bases du Coran.
L’Église au chevet des convertis
Au-delà des plateformes numériques, l’engouement des convertis repose en grande partie sur l’engagement discret mais fondamental des accompagnateurs de catéchumènes, ceux qui cheminent vers la conversion. Dans les paroisses, près de 80 % des hommes et des femmes qui préparent les futurs baptisés à recevoir les sacrements sont des laïcs, souvent eux-mêmes engagés dans une démarche de foi profonde.
Ce sont eux qui, semaine après semaine, accompagnent les catéchumènes dans leur découverte de l’Évangile, les soutiennent dans leur cheminement spirituel, et les introduisent aux rites et traditions de l’Église. Cet investissement bénévole, patient et personnel, joue un rôle essentiel dans la consolidation des vocations nouvelles. « Ce sont des visages, des présences fraternelles, qui rendent l’Église vivante », souligne Catherine Chevalier. Loin des projecteurs, cette armée silencieuse participe au renouveau du catholicisme français.
Reste pour l’Église à maintenir ces nouveaux arrivants dans la communauté et à transformer ces désirs de foi en véritables vies chrétiennes. Mais Rome ne manque pas d’atouts. Les pèlerinages, par exemple, séduisent de plus en plus, comme le Frat, qui verra converger 14 000 lycéens d’Île-de-France vers Lourdes. Pour la Pentecôte, en juin prochain, c’est plus de 20 000 catholiques qui s’élanceront pour le pèlerinage de Chartres. Un dynamisme impressionnant qui pourrait, s’il persiste sur le long terme, refaire de la France la « fille aînée de l’Église ».
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