Le JDD. Comment se présente la Sainte Tunique d’Argenteuil ?
Jean-Christian Petitfils. Conservée depuis douze siècles à Argenteuil, cette précieuse relique est considérée comme la « tunique sans couture » que Jésus aurait portée sur le chemin de croix et qui aurait été, selon l’Évangile de saint Jean, tirée au sort par les quatre bourreaux romains. Elle se présente comme un vêtement de laine non-mérinos, de couleur brun pourpre, de 122 cm de hauteur (148 à l’origine probablement), de 90 cm de largeur sous les bras et de 130 sous la poitrine. Fortement abîmée aujourd’hui, elle a été mutilée par de nombreux prélèvements effectués au cours des siècles. Lors de la prochaine ostension, on pourra la voir déployée dans la grande châsse en bronze doré construite en 1894.
Quel est son itinéraire originel et comment cette relique du Christ est parvenue à Argenteuil ?
Il est logique de penser que les apôtres et disciples, après la mort et la résurrection de Jésus, se soient efforcés de la récupérer, comme ils l’ont fait pour les autres reliques (couronne d’épines, linceul, suaire, clous et bois de la croix…). Malheureusement, on dispose de peu de renseignements sur son histoire ancienne. Enfermée d’abord dans un « coffret de marbre » à Jaffa (aujourd’hui un faubourg de Tel-Aviv), elle aurait été rapportée avec grande solennité à Jérusalem en l’an 591. Plus tard, elle aurait fait partie du butin de l’empereur sassanide Khosro II qui avait ravagé Jérusalem, avant d’être restituée aux chrétiens vers 630.
Elle aurait ensuite gagné le palais impérial de Constantinople, échappant à la nouvelle dévastation de la Ville Sainte par les armées arabes du calife Omar. Vers l’an 801, l’impératrice Irène l’Athénienne en fit cadeau à son homologue Charlemagne dans la perspective d’un mariage avec lui. L’union ne se fit pas, mais la relique resta en Occident. Peu avant sa mort, en 813, Charlemagne l’offrit à l’une de ses filles, Théodrade, religieuse au modeste prieuré des moniales bénédictines d’Argenteuil.
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Depuis le Moyen Âge, son histoire est mouvementée…
Cachée pendant les raids vikings de la fin du IXe siècle, elle fut redécouverte vers 1152 lors de travaux effectués dans le monastère devenu une abbaye d’hommes. La première ostension eut lieu avec grande solennité le 10 octobre 1156. L’église ayant été incendiée en 1567, elle dut être à nouveau cachée pendant les guerres de Religion, avant de faire l’objet aux XVIIe et XVIIIe siècles de nombreux pèlerinages et processions. En 1793, sous la Terreur, le curé du lieu, François Ozet, persuadé que les révolutionnaires allaient s’en emparer, la découpa en plusieurs morceaux et en enterra les principaux dans le jardin de son presbytère.
De nombreuses études scientifiques ont été faites sur la sainte tunique. Ces recherches permettent-elles des certitudes ?
En effet, de nombreux travaux de recherche ont été effectués par les scientifiques de 1892 à nos jours. Des experts des Gobelins ont conclu qu’il s’agissait d’un tissu confectionné à partir d’un métier artisanal ancien, peut-être en Palestine ou en Syrie, car les fils sont torsadés en Z, comme certains linges trouvés à Palmyre. À l’examen des zones rudes au toucher, les ingénieurs chimistes ont vite conclu qu’il s’agissait de taches de sang. En 1997, le professeur André Marion, directeur à l’Institut d’Optique d’Orsay, repéra neuf taches de sang sur le dos de la Tunique, attestant du portement de la croix.
Travaillant avec un microscope à balayage, le professeur Lucotte a découvert de nombreux pollens de plantes anciennes originaires de Méditerranée orientale : Phoenix dactylifera (espèce de palmier), Prosopis farcata (une plante grasse), Chenopodium album (autre plante grasse), Cedrus libani (cèdre du Liban), Pistacia palaestina (pistachier de Palestine). Il a observé en outre la présence d’un grand nombre d’hématies, des globules rouges. Certaines sont complètement altérées, signes de la situation traumatique dans laquelle se trouvait l’homme ayant porté ce vêtement.
Les concordances entre la tunique d’Argenteuil, le linceul de Turin et le suaire d’Oviedo sont frappantes…
Absolument ! Même groupe sanguin rare pour les trois reliques : AB (4 à 5 % de la population mondiale), taches de sang qui se recoupent avec celles visibles sur le dos de l’homme du linceul. Ce sont d’évidence les traces de l’effroyable flagellation que Ponce Pilate fit subir à Jésus : 55 coups de fouet à doubles billes d’acier, repérés sur le Linceul de Turin. Un cas unique pour un condamné à la crucifixion. Enfin, sur quinze espèces de pollens décelées sur la Tunique, six se retrouvent sur le Linceul et sept sur le Suaire. Impossible d’imaginer trois faux fabriqués en parallèle !
C’est l’une des reliques les plus sacrées de la chrétienté, pourtant, n’est-elle pas méconnue ?
En raison de son histoire mouvementée et des périodes où elle a été cachée, on comprend qu’elle a été moins médiatisée que le Linceul de Turin. Il n’en reste pas moins que plusieurs rois de France sont venus la vénérer : Louis VII, Saint Louis, Henri IV et Louis XIII. En 2016, son ostension a rassemblé 220 000 personnes et 15 000 confessions. On en attend au moins le double cette année.
Que répondez-vous aux critiques qui soulignent que vous êtes historien et chrétien ?
Je ne vois pas en quoi ce serait incompatible, à condition bien sûr de ne pas mélanger foi et recherche historique ou scientifique ! Mes convictions religieuses n’auraient nullement été ébranlées si la Sainte Tunique s’était révélée être un faux, comme il y en a eu beaucoup dans l’histoire. Mais ce n’est pas le cas.
La Sainte Tunique d’Argenteuil, Authentique relique de la Passion du Christ, Jean-Christian Petitfils, Tallandier, 208 pages, 18,90 euros.
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