Le JDD. Votre livre est dédié à Boualem Sansal, « exemple de courage, de liberté, prouvant à ses geôliers que ce sont eux qui s’enferment dans la plus sordide des prisons ». Ces mots, très forts, viennent se briser contre la réalité, violente : Boualem Sansal a été condamné par le régime algérien à cinq ans de prison…
Bernard Hadjadj. La prison ne peut enfermer une parole libre, ouverte et accueillante. Celle de Boualem Sansal n’a jamais autant circulé. Un ami libraire me confiait qu’il était de plus en plus lu. Ce qui prouve que ce sont les autorités algériennes qui restent enfermées dans une idéologie mortifère. Elles sont même forcées de se durcir, de se verrouiller davantage pour faire face à cette solidarité d’origine diverse qui s’est élevée pour demander la libération de l’écrivain. Il faut donc poursuivre, faire pression sur notre gouvernement afin qu’il prenne des mesures concrètes, susceptibles de faire céder le gouvernement algérien.
Dans sa préface, poignante, l’écrivain prévenait : « Vous risquez de prendre pour de bons hadiths les dires des uns et des autres, sans savoir qui ils sont et de quoi ils sont capables. » Votre ouvrage a donc, en premier lieu, une vocation d’utilité, comme un manuel ?
J’ai tenu dans cet ouvrage à faire un historique de la haine islamiste en m’appuyant sur le Coran et en citant plusieurs sourates qui annoncent la dérive islamiste et le radicalisme du wahhabisme puis du salafisme. Je pointe aussi l’influence de l’antijudaïsme chrétien qui continue hélas d’inspirer certains prélats d’Orient. Quand beaucoup nous invitent à distinguer les quiétistes – littéralistes non violents – et les radicaux – terroristes –, je pose cette simple question : peut-on séparer les propagandistes de la haine de ses praticiens ? Les quiétistes salafistes sont aux terroristes salafistes, me semble-t-il, ce que Joseph Goebbels était à Adolf Eichmann.
« La haine a vocation à grossir et a tout submerger, elle est la fin apocalyptique de tout », ajoute-t-il. Cette fin est-elle proche ?
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Boualem Sansal, dans sa préface, écrit cette phrase reprise en bandeau sur l’ouvrage : « La haine existe, elle a le projet de tout détruire. » Dès lors que l’on vit dans une époque où l’idéologie primaire est renforcée par le monde binaire des réseaux sociaux, où il y a automatiquement et sans discussion les bons d’un côté – colonisés, gens de couleur, femmes – et les méchants de l’autre – colonisateurs, blancs, hommes –, on n’apprend plus à discerner, on se lâche, on ne se remet plus en question. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de la haine, comme elle vous électrise, comme elle semble donner un sens à votre vie, alors même qu’elle est une puissance de mort. Parlant du déluge dans sa pièce Noé, Fabrice Hadjadj [son fils écrivain et philosophe, NDLR] écrit : « Et peu à peu les frontières entre les vivants s’étaient estompées. Et peu à peu le divertissement, pour vous faire oublier que vous étiez encore un bonhomme mortel, était allé jusqu’à la dissolution dans ce qui n’est pas humain. »
« La haine vous électrise et semble donner un sens à votre vie »
Vous expliquez que le rejet de l’autre se trouve au cœur même du Coran. Pourquoi ?
Au début de l’Hégire (622), les tribus arabes converties à l’islam vivaient en bonne entente avec les tribus juives, et le Coran souligne « l’élection d’Israël » : « Nous (Dieu) avons effectivement apporté aux enfants d’Israël le Livre, la sagesse, la prophétie, et leur avons attribué de bonnes choses et les préférâmes aux autres humains » (sourate 45,16). Par la suite, on évoluera progressivement vers une hostilité puis un rejet de tous les non-musulmans (les idolâtres, les gens du Livre et les associateurs ou chrétiens) : « Combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’association et que la religion soit entièrement à Allah seul. S’ils cessent, donc plus d’hostilités, sauf contre les injustes » (sourate 2,193). Quant à l’islam intégriste, il ira jusqu’à ne plus tolérer la présence de non-musulmans, refusant même le statut de dhimmi (soumis). Pour lui, le Moyen-Orient ne doit pas seulement être judenfrei, il doit être aussi christianfrei.
Vous pointez du doigt le lavage de cerveaux et l’éducation à la haine, par le biais du « venin médiatique ». Comment opère-t-il ?
Il faut considérer l’influence des chaînes satellitaires financées par l’Arabie saoudite et le Qatar, et l’outrance haineuse des prêcheurs qui s’y montrent. On signalera à titre d’exemple Cheikh Ibrahim Mudayris qui, sur la très officielle chaîne télévisée de l’Autorité palestinienne, tint ces propos en plein sermon, le vendredi 13 mai 2005 : « Avec l’établissement de l’État d’Israël, l’ensemble de la nation islamique était perdu, car Israël est un cancer qui s’étend sur le corps de la nation islamique et parce que les juifs sont un virus comparable au Sida dont souffre le monde entier. »
On assiste, par ailleurs, à une incroyable explosion de sites encourageant le racisme et l’antisémitisme. Le centre Simon-Wiesenthal avance ces chiffres : 600 sites recensés en 1997 contre plus de 14 000 dans les années 2000, ce qui était déjà une sous-estimation. La plupart des manuels scolaires des pays arabes transmettent aux élèves un rejet de l’autre avec des degrés de stigmatisation, voire de haine, qui varient selon le destinataire. Le juif représente l’être détestable par excellence, suivi de près par les croisés (les chrétiens), et enfin tous ceux qui ne sont pas musulmans.
Quelle place les politiques tiennent-ils dans cette radicalisation ?
Il faut bien reconnaître que la gauche, et plus particulièrement la gauche radicale – LFI et NPA notamment –, ont adhéré de manière inconditionnelle à la cause palestinienne et, par voie de conséquence, à celle des islamistes : l’islamo-gauchisme est né comme une sorte de miracle à l’envers. Car qui aurait cru à l’établissement d’un axe libertaire-intégriste ? Il pollue désormais l’ensemble de l’espace public. Mais cela ne date pas d’hier. Quand les mollahs s’emparent du pouvoir en Iran, l’Organisation communiste internationaliste (OCI), trotskiste, apporte son soutien à l’ayatollah Khomeini : « La crise révolutionnaire est ouverte en Iran. La révolution est inévitable », s’écrie l’organe du mouvement, La Vérité, en février 1979 : « Derrière la révolution islamiste se profile la révolution prolétarienne… » Quant à nos dirigeants, ils sont pour le moins frileux. Ils craignent tellement la guerre civile qu’ils ne font rien pour l’empêcher.
La haine islamiste, Bernard Hadjadj, Salvator, 160 pages, 16 euros.
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