Loin de critiquer ses propos, la ministre de l’Éducation nationale ainsi que son collègue, le ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, paraissent se murer dans un silence approbateur. Évidemment, une fois de plus, ces tergiversations d’État témoignent de notre défaite. Non pas une « étrange défaite », mais une défaite on ne peut plus prévisible, délibérément accompagnée et voulue, en quelque sorte, par des « élites » qui ont abandonné la première ligne à laquelle elles devraient se tenir, préférant s’accommoder aux injonctions des adversaires de la liberté.
Car c’est bien la liberté académique qui est ainsi combattue explicitement par des étudiants minoritaires, lesquels entendent empêcher un enseignant de délivrer son cours. Et c’est cette même liberté qui n’est pas défendue comme elle devrait l’être, c’est-à-dire de manière inconditionnelle et énergique, par la hiérarchie de Lyon 2.
C’est toute la chaîne de commandement qui, encore une fois, se montre défaillante dans la protection d’un homme
À y regarder de près – et hélas, sans surprise –, la mécanique qui se met en place reproduit la désertion, pour ne pas dire la trahison, qui avait prévalu en son temps lors de la tragédie à laquelle succomba atrocement Samuel Paty. C’est toute la chaîne de commandement et de solidarité nationale qui, encore une fois, se montre défaillante dans la protection d’un homme, seul et à découvert, qui s’efforce de tenir sa place en ne faisant qu’appliquer les principes conformes à sa mission.
Quel est le ressort qui explique l’abdication de nombre de dirigeants publics de la nation, au plus haut niveau comme à des niveaux plus intermédiaires, si ce n’est cette « grande peur des bien-pensants » pourfendue magistralement par Bernanos en son temps ?
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La bien-pensance du politiquement correct d’aujourd’hui, pour être forcément différente de celle dénoncée par le grand écrivain catholique de l’entre-deux-guerres, participe néanmoins des mêmes propriétés psychologiques et participe tout autant aux mêmes prédispositions : le conformisme, l’excès de prudence, l’hypothèque posée sur les valeurs dont nous avons hérité, le carriérisme prêt à toutes les compromissions pourvu qu’il apporte son lot de gratifications personnelles.
On collabore d’autant plus avec la menace que le coût de la résistance est perçu comme supérieur aux bénéfices potentiels de cette dernière. C’est ainsi que les idéologies mortifères se sont toujours développées au cours des temps – par-delà les intentions les caractérisant et les noms les désignant –, indexant leur marche conquérante sur les intimidations de minorités activistes, suscitant l’imprégnation agressive et dominante à laquelle elles soumettent, de manière pointilliste et progressive, l’encadrement d’un pays, confirmant ainsi ce que les Chinois nous enseignent depuis des millénaires : « le poisson pourrit toujours par la tête ».
Nous sommes rendus à l’un de ces points de rendez-vous fatidiques où se joue dorénavant quelque chose de fondamental et de tout autant essentiel : notre capacité à nous opposer à ceux qui, opposés à notre modèle de liberté, n’ont d’autre objectif que de le détruire. L’université constitue, comme la laïcité pour l’école, un champ de bataille-test en ce qui concerne les libertés – et parmi celles-ci, la liberté académique.
Tout, dans la campagne dont a été la cible le géographe de Paris 2, concentre les maux de notre époque : le rejet de l’autorité – ici, l’autorité professorale, peu ou pas soutenue par ceux qui, administrativement et politiquement, devraient opérer ce soutien ; le dénigrement du contenu du savoir dispensé par l’enseignant ; la violence de petits groupes islamo-gauchistes qui veulent interdire toute expression qui n’irait pas dans leur sens ; l’accommodement, in fine, d’une partie des élites dirigeantes avec la radicalité des minoritaires d’extrême gauche, qui finissent par imposer de la sorte leur agenda et leurs mots d’ordre – dont le prétendu « arc républicain » fut, en quelque sorte, en juillet 2024, l’un des prototypes.
S’il fallait tirer un énième enseignement de cet épisode métaphorique des controverses du moment, c’est qu’il ne suffit pas de gagner la bataille de l’autorité et de l’identité dans l’opinion : encore faut-il en faire acter la victoire par le système élitaire, qui, par idéologie ou par lâche propension à se dérober à ses obligations, fait le choix du refus du combat. Une négation tant de la démocratie que des vertus nécessaires afin de gouverner et conduire un pays…
*Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire, professeur associé à l’Université Paris Sorbonne.
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