
Changement de peau, de ton, de signature : à 50 ans passés, et après trente-cinq livres, Nicolas d’Estienne d’Orves redevient vierge. Il se rebaptise NéO pour ouvrir un nouveau cycle romanesque autour des sept péchés capitaux. Un ambitieux projet littéraire qui n’est pas sans rappeler Eugène Sue et sa série-feuilleton sur les Sept Péchés capitaux publiée entre 1847 et 1852, qui fut un grand succès populaire. Et l’orgueil, à la racine de tous les autres, ouvre le bal avec panache et un brin de folie.
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Pour Antoine Roquenaud, écrivain raté, 47 ans, perdant magnifique tout juste sorti de prison, l’avenir s’annonce sombre. Jusqu’au jour où d’énigmatiques mécènes lui proposent un pacte diabolique : échanger sa place avec celle de Marc Haubergier, superstar littéraire, « toujours numéro un des ventes », mais dont le visage reste inconnu du grand public. Logé, nourri, rhabillé, formaté, il s’entraîne à devenir un autre.
Il rejoint Heimerlind, îlot imaginaire battu par les vents et les fantômes, quelque part au large du Finistère. Là l’attendent l’épouse aveugle de l’écrivain et un majordome trop parfait. L’ombre d’Hitchcock plane. On songe aussi au Bouc émissaire de Daphné du Maurier avec ce décor brumeux, ces identités troubles et ces souvenirs étouffés. Mais aussi au cinéma : Plein soleil de René Clément, où Delon usurpe le charme glaçant de Ronet, et The Ghost Writer de Roman Polanski, autre huis clos littéraire, paranoïaque, insulaire. L’Île de l’orgueil déploie un fascinant jeu de doubles : qui est qui ? Qui manipule qui ? Où finit l’imposture, où commence l’écriture ? NéO s’attaque ici à la figure la plus orgueilleuse du panthéon littéraire : l’auteur lui-même. L’orgueil n’est pas ici un simple trait de caractère mais une structure narrative.
L’écrivain s’y prend pour Dieu ; il fabrique, remplace, efface. NéO trousse ici un thriller en forme de psychomachie – cette guerre intérieure entre vices et vertus. Il s’amuse des codes, pioche dans les mauvais genres avec l’avidité d’un enfant dans un grenier : thriller gothique, récit fantastique, polar ironique. C’est haletant, brillant, comme si le roman contemporain retrouvait le goût du théâtre d’ombres, des usurpations d’identités, des vérités troubles. Et ce n’est que le premier péché. Vivement les six autres.
L’Île de l’orgueil, NéO (Albin Michel), 320 pages, 21,90 euros.
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