Le Pape François est mort. Avec son sourire humble et son allure paternelle, il aura réussi ce tour de force consistant à être loué comme un vénérable progressiste par ceux qui étaient censés être ses adversaires les plus résolus. Son encyclique Laudato Si’ et ses appels à l’accueil des migrants ont séduit ceux qui cherchent un souffle nouveau dans l’Église. Pourtant, sous la lumière de l’examen, cette image se fissure. Loin d’incarner le progrès sur ces sujets où son action fut particulièrement louée, François a tissé une toile paradoxale, mêlant méfiance conservatrice et complaisance mortifère pour les tares du tiers-monde.
Dans Laudato Si’, François pleure une « Terre opprimée et dévastée », victime de l’homme moderne. Sa plume, trempée d’une mélancolie presque païenne, exalte une nature sacralisée. Partisan de la décroissance, il fustige la civilisation industrielle, aveugle à ses bienfaits. Car, loin d’être une simple machine à détruire, l’industrie a offert à l’humanité des miracles écologiques : l’électricité, qui a banni les fumées toxiques des foyers, et les réseaux d’assainissement, qui ont terrassé les épidémies nées des eaux souillées.
L’augmentation constante de l’espérance de vie de l’humanité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en dit assez sur le véritable bilan du capitalisme industriel. À rebours des clichés rousseauistes, c’est dans les pays sous-développés que les pollutions et les catastrophes naturelles infligent le plus de maux.
Protecteur des migrants ?
Comment, alors, se prétendre l’ami des démunis ou de la planète tout en maudissant le système qui a allégé leur fardeau et rendu notre terre plus hospitalière ? François appartenait à ces gens épris des pauvres au point d’en faire un fétiche, refusant de réfléchir aux moyens concrets de briser les chaînes de l’indigence et de réduire leurs effectifs pour gonfler les rangs de l’opulence. Taxant d’extrémistes ceux qui, confiants en la science, parient sur l’innovation pour juguler les crises écologiques, il s’est enfermé dans une posture régressive.
François appartenait à ces gens épris des pauvres au point d’en faire un fétiche
Son écologie, loin de regarder vers l’avenir, s’est égarée dans la nostalgie d’un Eden perdu. Une manière de donner des gages à ces courants qui reprochent aux religions monothéistes d’avoir octroyé à l’homme un pouvoir despotique sur la nature, à l’instar du penseur américain Aldo Léopold qui dénonçait l’incompatibilité de la protection de la nature avec « notre idée abrahamique de la terre ».
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Sur les migrations, François s’est voulu le protecteur des exilés, de Lampedusa aux camps de Lesbos. Ses paroles, vibrantes de charité en apparence, ont ému. Mais derrière la compassion affichée, une désinvolture troublante affleure. Son pontificat a été traversé par deux grandes crises migratoires : les Syriens, fuyant une guerre civile aux accents islamistes, et les Vénézuéliens, chassés par l’effondrement socialiste de leur pays. Face à ces tragédies, François a gardé un silence assourdissant sur les idéologies et les institutions qui en sont la cause, préférant recycler les lieux communs contre la mondialisation, les sociétés occidentales et ce « néo-libéralisme » qui fait défaut dans les pays les plus misérables.
Fin stratège
Comment défendre les migrants sans s’attaquer aux racines de leur malheur ? En épargnant les cultures et les régimes les plus oppressifs de la planète, il a laissé prospérer les maux qui vident des nations de leurs forces vives. Pire, en désignant les exigences d’assimilation des sociétés d’accueil à des réflexes xénophobes, il a fragilisé l’édifice même qui fait de l’Europe un refuge : ses valeurs de liberté, d’égalité, de tolérance et d’ouverture à l’altérité qui peinent à s’enraciner dans les pays de départ. Sans ces piliers, comment préserver un havre pour les âmes errantes ? La générosité sans lucidité devient une chimère, un mirage qui trahit ceux qu’elle prétend sauver.
François n’était pas progressiste. Il était en revanche un fin stratège. Il était conscient de cette nouvelle géographie mondiale du christianisme au sein de laquelle l’Europe s’est rendue minoritaire en désertant, pour le meilleur ou pour le pire selon les points de vue, ces églises qui ont naguère envoyé tant de missionnaires aux quatre coins du globe. Il a confondu l’amour des pauvres avec le fait de flatter les bas instincts des nations en crise, au risque de retarder la remise en question nécessaire à leur émancipation. Reste à savoir si la démagogie est une vertu chrétienne.
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