
La langue est faite pour mettre en mots sa pensée avec sérénité et maîtrise. Elle est faite pour s’expliquer, elle est faite pour argumenter avec autant de fermeté que de tempérance. Mais dès lors que les mots viennent à manquer, alors ce sont les couteaux qui parlent. L’impuissance à communiquer avec ceux qui ne nous ressemblent pas rend difficile toute tentative de relation pacifique, tolérante et maîtrisée. Elle condamne certains jeunes à vivre dans un monde devenu hors de portée des mots, indifférent au Verbe.
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S’expliquer y devient aussi difficile qu’incongru, parce que l’école et la famille n’ont pas su (ou pu) transmettre cette capacité spécifiquement humaine de transformer pacifiquement le monde et les autres par la force des mots. Dans certains milieux, la parole, réduite à la proximité et à l’immédiat, a perdu le pouvoir de créer un temps de sereine négociation linguistique.
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Or ce temps a souvent la vertu de différer la violence et l’affrontement physique, car on peut alors s’exprimer voire s’affronter avec des mots, avant d’en venir aux armes. Dans ces lieux enclavés, la parole est ainsi devenue éruptive ; elle n’est plus qu’un instrument d’interpellation brutale et d’invective qui banalise l’insulte et précipite le conflit plus qu’elle ne le diffère.
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Nous tous avons failli à enseigner à ces jeunes égarés que ce qui sépare l’homme de l’animal
Si certains jeunes Français passent à l’acte plus vite et plus fort aujourd’hui, c’est parce que ni leurs parents, ni leurs maîtres n’ont su leur transmettre la capacité de mettre pacifiquement en mots leur pensée à l’intention de l’autre. Il est certes des bavards violents et des taiseux doux comme des agneaux. La parole n’a pas le pouvoir magique d’effacer totalement la haine, ou de faire disparaître les oppositions, mais elle a la vertu d’en rendre les causes audibles pour l’un et l’autre. Elle ouvre ainsi à chacun le territoire de l’autre.
Nous tous avons failli à enseigner à ces jeunes égarés que ce qui sépare l’homme de l’animal. C’est sa capacité d’épargner celle ou celui qui affiche ingénument sa vulnérabilité. Sa faiblesse, parce qu’elle est humaine, doit être la meilleure garantie de sa survie ; sa fragilité, parce qu’humaine, doit être sa plus sûre protection ; sa parole, parce qu’humaine, représente sa plus juste défense par sa vertu à échanger des mots plutôt que des coups de couteau.
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Le désespoir de ne compter pour rien ni pour personne, le refus de se résigner à ne laisser ici-bas aucune trace de leur éphémère existence réduisent certains enfants de ce pays, parfois au sein même de l’école de la République, à tenter de trouver d’autres moyens pour imprimer leurs marques : ils haïssent, ils meurtrissent, ils tuent et parfois… ils se tuent. La violence se nourrit de l’impuissance à convaincre, de l’impossibilité d’expliquer, du dégoût de soi-même et de la peur de l’autre.
La violence aujourd’hui n’est plus « aveugle », elle est de plus en plus souvent muette et sans limite. Elle s’exerce par « arme blanche ». « Blanche », comme l’est une voix quand elle est devenue incapable de porter des mots. De plus en plus souvent, l’arme « blanche », silencieuse, est ainsi enfoncée par un adolescent muet dans le corps d’un autre adolescent sidéré. Sans que le moindre mot ne soit prononcé. Aucun bruit ne vient troubler le moment banal du sacrifice d’une vie.
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