Ce jeudi 24 avril 2025, le lycée Notre-Dame de Toutes-Aides, établissement réputé tranquille, à Nantes, a vu l’extrême violence surgir. Justin P., seize ans, armé de deux couteaux, a poignardé plusieurs de ses camarades, tuant une lycéenne de quinze ans et blessant grièvement un autre élève. Rapidement maîtrisé – grâce à l’héroïsme d’un responsable informatique et de l’intervention rapide des forces de l’ordre – le jeune homme a été placé d’office en psychiatrie. Quelques heures avant l’attaque, il diffusait un étrange manifeste de treize pages, intitulé « L’action immunitaire ». Le titre, à lui seul, dit déjà une partie de l’aberration d’un esprit instable en proie au trouble.
Dans ce texte incohérent, se mêlent des dénonciations d’un « écocide globalisé » à des allusions délirantes à des forces occultes gouvernant le monde. Justin P. y oscille entre thèses d’ultragauche sur « l’écocide » et visions d’extrême droite millénariste. Une sorte de syncrétisme toxique, où la confusion devient dogme, où l’errance mentale épouse les pulsions mortifères.
Ce type de texte, précédent un passage à l’acte violent, n’est malheureusement pas un fait isolé. Il s’inscrit dans une série d’événements tragiques où le complotisme, couplé à l’isolement numérique, joue un rôle central dans l’embrasement d’esprits fragiles. Si l’on ne comprend pas les racines profondes de ce phénomène, il est impossible d’y remédier.
Complotisme
Un autre exemple emblématique est celui de l’attaque meurtrière qui a eu lieu aux États-Unis, en 2019, lors de la fusillade de la synagogue de Poway en Californie. Le tireur, un jeune homme de 19 ans, a tué une personne et blessé trois autres. Avant de passer à l’acte, il publiait une lettre en ligne dans laquelle il expliquait son geste comme une réponse à un complot mondial, des théories antisémites largement propagées sur des forums comme 4chan et Reddit.
« Barricader les écoles n’aura qu’un seul effet : déplacer la violence au coin de la rue »
Le tueur se réclamait des idées d’extrême droite, mais son discours était surtout nourri par une vision paranoïaque et fragmentée du monde, typique des dérives complotistes modernes. Cette idéologie délirante, qui amalgame racisme, haine des élites et peur irrationnelle du changement, s’est retrouvée sur le chemin de jeunes individus vulnérables, à la recherche de réponses dans un monde qu’ils ne comprenaient plus.
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À lire les témoignages de ses camarades, Justin était un garçon solitaire, étrange, parfois inquiétant. Ce profil, hélas, n’est pas rare. Ce qui l’est davantage, c’est la manière dont son isolement a trouvé une nourriture dans le monde numérique. Il ne s’agit pas ici d’excuser, mais de comprendre. La pathologie psychiatrique semble avérée. Mais ce serait une erreur de la considérer seule, comme si l’absolu délire suffisait à tout expliquer.
Car le jeune assaillant a nourri sa folie à une source désormais familière : celle du complotisme. Il n’a pas inventé ce qu’il croit. Il l’a lu. Consommé. Absorbé. Justin P. semble avoir été formé, non pas seulement à l’école, mais surtout dans la jungle algorithmique de forums obscurs et de vidéos ésotériques. Et là réside le cœur du drame : dans cette capacité qu’ont les fausses croyances à donner un sens aux existences vides, un destin aux solitaires, un ennemi fédérateur aux esprits perdus.
En finir avec les formules creuses
Freud écrivait que le « Moi » n’est pas maître dans sa propre maison, que les pulsions inconscientes dominent sur la conscience du sujet. Aujourd’hui, les maîtres s’appellent TikTok, Telegram ou Rumble. Ce ne sont plus seulement des professeurs, des écrivains ou des philosophes qui façonnent les esprits, mais des figures sans visage, des contenus sans filtre, des discours sans vérité. Ce que l’on croyait réservé à quelques illuminés s’est répandu comme un poison diffus. Une partie de la jeunesse, surtout celle laissée seule face au vertige du monde, s’y abandonne. Et l’on découvre, trop tard, qu’il ne fallait pas sous-estimer la force de ces « théories fumeuses ».
Face à cette violence, le pouvoir politique se contente, comme à chaque fois, d’appeler à « un sursaut », de rappeler que « l’école doit demeurer un sanctuaire »… Derrière ces mêmes formules, toujours un peu creuses, des solutions qui ne traitent jamais les causes profondes. C’est ainsi que l’on mène et que l’on mènera des campagnes contre les couteaux, comme si une affiche anti-couteau ou un portique de sécurité à l’entrée de l’école empêcherait qui que ce soit de passer à l’acte. Barricader les écoles n’aura qu’un seul effet : déplacer la violence au coin de la rue.
Prévenir ce type de drames, c’est donner les moyens à la pédopsychiatrie d’anticiper au maximum et de traiter les pathologies qui poussent à la violence. Mais c’est aussi agir sur la culture, sur l’esprit critique, sur l’éducation pour armer les jeunes esprits face à la désinformation et aux thèses complotistes. Plus que calfeutrer les écoles, l’État doit décloisonner les esprits dès l’enfance, enseigner l’émancipation intellectuelle, la valeur du lien social, l’importance d’une réflexion éclairée et d’un débat constructif. Car en miroir de nos efforts, l’espace numérique mondialisé tend les bras aux esprits fragiles, prêt à capter l’attention des individus les plus vulnérables, les plus en proie à la violence.
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