« C’est en cours. » Voilà la réponse, invariable, que l’Organisation juive européenne (OJE) dit recevoir du parquet de Paris depuis plusieurs mois. Pour Muriel Ouaknine-Melki, avocate et présidente de cette association fondée en 2014, la formule commence à avoir un goût amer. Depuis la tuerie perpétrée par le Hamas en Israël, l’OJE est devenue l’un des acteurs judiciaires les plus actifs dans la lutte contre l’antisémitisme en France.
Une cinquantaine d’avocats bénévoles multiplient les plaintes, les audiences et les signalements. Mais à force de constater la lenteur de certaines procédures, l’association s’interroge. Et pose une question simple : la justice est-elle aussi prompte à agir lorsqu’il s’agit de personnalités politiques, notamment issues de La France insoumise ?
Un phénomène d’une ampleur inédite
Les chiffres sont sans appel. Le ministère de l’Intérieur a recensé une hausse de 192 % des faits antisémites au premier semestre 2024 par rapport à l’année précédente. Tags, insultes, agressions, menaces en ligne : le phénomène prend une ampleur inédite, souvent sous-estimée. L’OJE, qui se revendique « apolitique », s’est donc lancée dans une offensive judiciaire tous azimuts.
« Nous sommes sur tous les fronts, assure Me Ouaknine-Melki. Dès que nous constatons une infraction manifeste, nous saisissons les juridictions. » La chronologie parle d’elle-même : le 9 octobre 2023, soit deux jours après les attaques du Hamas, des premières plaintes étaient déposées auprès du parquet de Paris. Dans les mois qui suivent, l’association attaque un humoriste, un footballeur, un syndicaliste, et plusieurs responsables politiques.
Certains dossiers aboutissent très rapidement. Le cas du footballeur niçois Youcef Atal est emblématique. Pour avoir relayé sur Instagram une vidéo appelant à « un jour noir pour les juifs », il est poursuivi pour « provocation à la haine raciale ». Verdict : huit mois de prison avec sursis. Même sévérité pour Jean-Paul D., cadre de la CGT du Nord, condamné à un an de prison avec sursis pour une phrase jugée ambiguë dans un tract daté du 10 octobre 2023 : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi, elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées. »
La suite après cette publicité
L’humoriste Guillaume Meurice avait comparé Benyamin Netanyahou à « un nazi sans prépuce » dans une chronique sur France Inter. Les plaintes ont été classées sans suite par le parquet de Nanterre en quelques semaines. Un choix discutable pour l’OJE, mais qui tranche, selon elle, avec le traitement réservé à d’autres dossiers. « Dans ces affaires, la justice a agi avec célérité, et nous le saluons, observe Me Ouaknine-Melki. Mais pourquoi, lorsqu’il s’agit de députés, les procédures s’éternisent pendant des mois, voire des années ? Les prises de parole publiques de certains élus de La France insoumise ont largement contribué à l’explosion des actes antisémites depuis le 7-Octobre. »
L’OJE saisit la justice
L’OJE s’est donc intéressée de près aux prises de parole de plusieurs figures de La France insoumise. Mathilde Panot, présidente du groupe à l’Assemblée, a fait l’objet d’une plainte pour apologie du terrorisme. Même chose pour l’eurodéputée Rima Hassan, qui a multiplié les déclarations polémiques. En juillet 2024, le député Thomas Portes déclare que « la délégation israélienne n’est pas la bienvenue à Paris » à l’approche des Jeux olympiques. L’OJE saisit aussitôt la justice. Sans grand succès.
La plainte contre Mathilde Panot ? Classée sans suite au bout d’un an. Celle visant Rima Hassan ? Toujours en cours, même si elle a été auditionnée mi-avril. Thomas Portes ? Même réponse : les investigations se poursuivent. « Pourquoi un tel décalage ? s’interroge Muriel Ouaknine-Melki. Le droit est le même pour tous, non ? Pourquoi le statut d’élu devrait-il ralentir la machine judiciaire ? » Selon elle, cette lenteur entretient un double effet pervers : elle mine la confiance dans les institutions, et elle alimente une forme de soupçon. « L’absence de communication du parquet sur ces dossiers sensibles laisse le champ libre aux fantasmes. C’est dangereux. »
Pourquoi le statut d’élu devrait-il ralentir la machine judiciaire ?
Muriel Ouaknine-Melki
D’autant que les élus visés ne restent pas sans réaction. Rima Hassan, notamment, a publiquement riposté. Le 22 avril, elle écrivait sur X : « Association_OJE, on n’en restera pas à l’absence de poursuites me concernant. Je ne connais pas la capitulation. Je vais vous traîner devant la justice comme on ne vous a jamais traînés, vous et vos complices. » Une menace à peine voilée. L’avocate Muriel Ouaknine-Melki affirme par ailleurs recevoir régulièrement des messages de menaces ou d’intimidation. Face à ce climat délétère, certaines voix s’élèvent.
L’avocat Gilles-William Goldnadel, président de l’association Avocats sans frontières, partage le constat. Il va plus loin : « Il y a une réelle frilosité du monde judiciaire à s’attaquer à une certaine gauche, même quand les propos franchissent clairement les lignes rouges. C’est un biais sociologique et idéologique. » Son association a déposé plainte contre Rima Hassan, David Guiraud et Ersilia Soudais pour « intelligence avec des organisations terroristes ». Pour l’instant, aucune suite.
Du côté du parquet de Paris, le silence est pesant. Sollicité à plusieurs reprises, il a simplement indiqué au JDD qu’il prendrait la parole « dans les plus brefs délais ». Une réponse qui résonne étrangement avec celle faite à l’OJE depuis des mois : « L’enquête est en cours. » Pendant ce temps, les actes antisémites continuent de grimper.
Source : Lire Plus
