Après le recueillement, l’effervescence. Au lendemain de la messe de funérailles du pape François, une fébrilité grandissante enveloppe la Ville éternelle : celle des prémices du prochain conclave. Dans les rues, les cardinaux venus du monde entier sont aisément repérables à leur soutane noire filetée, leur ceinture et leur calotte rouge ponceau, mais aussi à l’essaim de journalistes qui les entoure. Chaque question vise le même but : tenter de percer le mystère des congrégations générales, ces réunions à huis clos qui précèdent le conclave et où commence à se dessiner le profil du futur pape.
Chargées de gérer les affaires courantes de l’Église durant la vacance du siège apostolique, d’organiser les funérailles du souverain pontife et de préparer l’élection de son successeur, elles rassemblent l’ensemble du Collège des cardinaux, actuellement au nombre de 252. Tous sont invités à y participer, mais seuls les cardinaux électeurs – ceux âgés de moins de 80 ans, habilités à voter lors du conclave – sont tenus d’y assister. La présence des cardinaux non électeurs reste toutefois vivement encouragée. Soucieux de faire entendre leur voix, la plupart choisissent de s’y rendre. En témoigne la réaction du cardinal chinois Joseph Zen, qui s’est offusqué lundi dernier de la précipitation avec laquelle la première session de ces congrégations a été convoquée, dès le lendemain de la mort du pape.
« Comment les anciens venus des périphéries sont-ils censés arriver à temps ? Ils ne sont pas obligés d’y assister, mais ont-ils le droit d’y être présents ? Oui ou non ? » s’est-il agacé dans un message diffusé sur X par la vaticaniste américaine Diane Montagna. « Le poids de ces congrégations générales est important à l’approche du conclave. Elles permettent aux cardinaux de se rencontrer, d’échanger des informations et de nouer des alliances. C’est d’autant plus crucial dans le contexte actuel, où beaucoup d’entre eux ne se connaissent pas et n’ont jamais eu l’occasion de dialoguer », indique l’abbé Claude Barthe, fin observateur des arcanes du Vatican.
Depuis mardi dernier, quatre sessions se sont déjà déroulées dans la salle du Synode, au Vatican. Les deux premières ont été principalement consacrées à l’organisation des funérailles du pape défunt. Mais, dès la troisième congrégation, les échanges ont pris une nouvelle tournure, entrant dans des discussions de fond en vue du conclave, comme l’a confié aux journalistes le cardinal Jean-Claude Hollerich sur le parvis de Saint-Louis-des-Français : « Nous avons commencé. Nous étions déjà 113 cardinaux. Le nombre de ceux qui ne sont pas Italiens ou Romains augmente, alors l’atmosphère change aussi un peu. » Le prélat luxembourgeois est cependant resté discret sur le contenu des débats : « Je ne peux pas dire sur quoi. » De fait, ces réunions demeurent largement confidentielles : dès leur première participation à une congrégation générale, les cardinaux prêtent serment « de maintenir scrupuleusement le secret sur tout ce qui a rapport de quelque manière que ce soit avec l’élection du Pontife Romain ».
Lors de ces congrégations, chaque prise de parole est limitée à quelques minutes, mais les cardinaux peuvent intervenir plusieurs fois au cours des différentes sessions. Ils expriment librement leurs réflexions sur l’état de l’Église, de sa place dans le monde, esquissant le profil du pape idéal pour répondre à la situation actuelle. Parmi les figures conservatrices, les cardinaux Sarah, Burke et Müller ont chacun préparé des interventions marquantes. Le cardinal Zen fait également partie de ceux qui estiment avoir un message essentiel à porter. Il souhaite notamment adresser de vives critiques au cardinal Parolin, principal artisan des accords controversés entre le Saint-Siège et la Chine et dont le nom circule parmi les papabili. « C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il tenait à être présent dès l’ouverture des congrégations », rapporte l’abbé Barthe.
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Les ambitions s’expriment de manière plus indirecte, par des interventions où l’on esquisse des priorités, souligne des défis ou oriente discrètement les regards
« Les cardinaux préparent avec soin leurs interventions, explique l’historien Yves Chiron, spécialiste d’histoire religieuse contemporaine, auteur des Dix conclaves qui ont marqué l’histoire (Perrin). Sans dresser un bilan du pontificat ni proposer de programme, ils mettent en lumière les défis qu’ils jugent prioritaires. Ce sont ces accents particuliers qui peuvent retenir l’attention, comme ce fut le cas en 2013 avec le discours marquant du cardinal Bergoglio. » Le futur pape François y dénonçait une Église « autoréférentielle » et appelait à une évangélisation tournée vers les « périphéries existentielles », pour aller à la rencontre des plus vulnérables.
Peut-on pour autant parler de campagne électorale ? Le processus est en réalité beaucoup plus implicite. Aucun cardinal ne se présente ouvertement comme candidat ni ne soutient publiquement un autre. Les ambitions s’expriment de manière plus indirecte, par des interventions où l’on esquisse des priorités, souligne des défis ou oriente discrètement les regards. « Tout se joue dans un climat feutré, sans jamais prononcer de noms durant les interventions publiques. En revanche, dans les conversations privées, l’ambiance est toute autre, les langues se délient : on évoque des noms, on discute, on pèse les forces en présence », précise Yves Chiron.
Si rien n’est scellé pendant ces congrégations générales, une tendance peut se dégager, permettant à certains cardinaux de discerner le nom du futur pape. En 2013, c’est ce qui avait conduit le cardinal cubain Jaime Ortega, alors archevêque de La Havane, à demander à Jorge Mario Bergoglio une copie de son intervention. « Il considérait que ce qui avait été dit était important et que, si Bergoglio était élu pape, ce serait un document historique », commente Yves Chiron.
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