Le JDD. Dans votre livre, vous écrivez à plusieurs reprises que le sujet est toujours d’actualité. Rien n’a changé en matière de finances publiques depuis cinquante ans ?
François Ecalle. Des choses ont changé, mais on retrouve toujours les mêmes débats. Un exemple très récent : ma dernière note d’actualité sur Fipeco porte sur la TVA sociale. Il y a trente ans, nous nous demandions déjà s’il ne fallait pas remplacer les cotisations patronales par de la TVA ou de la CSG.Et i l y avait eu un livre blanc sur le financement de la protection sociale auquel j’avais contribué, qui concluait qu’avec des dépenses sociales qui augmentaient plus vite que l’activité, on serait obligé d’augmenter les taux de TVA ou de CSG. Aujourd’hui, cette conclusion est toujours valable.
Que faut-il en déduire ?
Notre débat public est très vif mais il n’y a aucun consensus. Donc on avance dans un sens, et puis on repart dans un autre. Il y a le rôle des politiques, bien sûr, mais aussi celui des économistes. Entre ceux qui sont plutôt keynésiens, ceux plutôt classiques, ceux complètement opposés à une économie de marché et ceux, au contraire, ultra-libéraux… On peut bien dire que les Français ne comprennent rien à l’économie, mais les économistes ne les aident pas, car ils disent des choses très différentes !
Votre livre paraît à l’heure où l’exécutif veut réaliser 40 milliards d’euros d’économies pour 2026. Vous y croyez, à cet objectif affiché ?
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Non, justement parce qu’il n’y a aucun consensus sur des mesures d’économies qui permettraient d’atteindre les 40 milliards. Aucune majorité au Parlement ne votera quoi que ce soit de significatif.
Amélie de Montchalin veut supprimer les niches fiscales qui bénéficient à peu de contribuables et coûtent cher. Est-ce judicieux ?
En général, les petites niches ne coûtent pas cher. Il n’y a qu’un ou deux cas, dont la plus connue qui profite à une cinquantaine d’armateurs. Son coût a été important lors d’années exceptionnelles, mais en régime permanent, elle ne coûte pas si cher. Et si le gouvernement se contente des petites niches, il ne va pas gagner grand-chose. Il faut s’attaquer aux grosses…
« Le système peut tenir si les Français travaillent plus longtemps »
Comme l’abattement de 10 % pour les retraités qui paient l’impôt sur le revenu ?
Pour stabiliser la dette, il faut un effort de 100 à 150 milliards d’euros. Pour y arriver, on ne peut pas ne pas toucher aux retraites. Surtout si on veut réduire les dépenses publiques. Les retraites en représentent le quart. Un moyen très simple est la sous-indexation des pensions. Le problème est que cela touche tout le monde, y compris les plus modestes. Supprimer cet abattement de 10 % permet de les épargner.
Sur les dépenses de santé, vous racontez dans votre livre avoir soutenu dans les années 1990 l’idée d’un « bouclier sanitaire », un reste à charge en fonction du revenu de chacun, ce qui rappelle une proposition récente de la Cour des comptes…
Oui, cela permet de protéger les plus modestes puisqu’on s’assure que ça ne leur coûtera pas plus de 3 ou 4 % de leurs revenus. Et à partir du moment où l’on met en place ce système, on peut augmenter le ticket modérateur, la part non remboursée par l’Assurance maladie, ce qui permet d’économiser sur les remboursements de manière mécanique. Ce sont les mutuelles qui y sont le plus opposées. (Sourire.)
Notre modèle social et ses principes de solidarité et d’universalité
ne risquent-ils pas de faire les frais de la nécessité de redresser nos comptes publics ?
Ça peut tenir, à condition de faire des efforts. Dans le cas de la retraite, on sait que le système peut très bien tenir si les Français travaillent plus longtemps. Dans le cadre de la santé, c’est plus compliqué, parce que les décisions sont prises par des dizaines de milliers de prescripteurs qui sont les médecins, avec des comportements qu’il faut essayer d’infléchir dans le bon sens.
Vous expliquez qu’à Bercy, deux prévisions économiques existent : celle qui va satisfaire le gouvernement et celle qui est plus réaliste…
Oui, ça a pris une importance particulière avec le traité de Maastricht et l’obligation d’un déficit public à 3 % du PIB en 1997, alors que c’était extrêmement difficile. Déjà, à l’époque, il y avait des prévisions officielles qui arrivaient à 3 % en 1997, et il y avait nos prévisions à nous qui montraient qu’on n’y parviendrait pas sans mesure de redressement. Je pense qu’aujourd’hui, les agents de Bercy disent aux ministres qu’on ne sera pas à 5,4 % cette année sans mesure supplémentaire. L’histoire se répète…
« Je pense qu’aujourd’hui, les agents de Bercy disent aux ministres qu’on ne sera pas à 5,4 % cette année sans mesure supplémentaire »
Tout cela explique le dérapage du déficit public ces dernières années ?
Certains élus ont fait semblant de le découvrir, mais il y a toujours eu des prévisions internes beaucoup plus pessimistes que les prévisions officielles. En 2023 et 2024, ce sont des erreurs techniques internes qui ont abouti à des sous-estimations du déficit public. Alors on s’en est pris aux agents de Bercy en accusant leurs modèles. Mais les circonstances étaient très particulières après la crise du Covid, celle de l’énergie, et avec une activité économique qui s’effondre puis qui rebondit très fortement… Je me dis toujours que si j’avais été à leur place, j’aurais pu faire les mêmes erreurs.
Votre livre illustre aussi les pratiques, souvent contestables, voire illégales, des organismes publics que vous avez contrôlés.
Le port de Marseille, la RATP, la SCNF… Y a-t-il un problème global dans la sphère publique française ? Contrairement à ce que certains pensent, l’État n’est pas irréprochable. Sur les marchés publics, ça m’a toujours frappé ; il suffisait de regarder pour trouver des irrégularités. Pourquoi ? Parce que le code des marchés publics est tellement compliqué que l’administration elle-même ne le respecte pas. L’administration se donne des règles qu’elle ne respecte pas parce qu’elle en est bien incapable. Et après, elle va sanctionner les ménages ou les entreprises qui ne respectent pas ces règles.
En conclusion de votre livre, vous avouez avoir « de plus en plus de doutes sur la capacité de l’État à intervenir efficacement dans la vie économique ». N’est-ce pas ça, notre problème de fond ?
Les Français veulent que l’État règle le moindre problème. Et il ne peut le faire que par la dépense publique ou par la réglementation, d’où une accumulation des dépenses et de normes dont on ne cherche même pas à mesurer l’efficacité. Je suis de moins en moins optimiste. Je pense qu’on ne fera pas les 40 milliards d’euros d’économies et qu’on ne fera pas non plus les 100 à 150 milliards qui permettraient de stabiliser la dette. Celle-ci va continuer à augmenter jusqu’au jour où l’un de nos créanciers craindra de ne pas être remboursé. À ce moment-là, nos taux d’intérêt monteront et tout dépendra de la réaction de la Banque centrale européenne.
Mécomptes publics, François Ecalle, Odile Jacob, 320 pages, 24,90 euros.
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