Le JDD. Emmanuel Macron souhaite lancer une « conférence sociale » sur le financement de notre modèle social, qu’il juge trop dépendant du travail. Approuvez-vous cette initiative ?
Amir Reza-Tofighi. C’est une très bonne proposition. Nous serons naturellement moteurs si cette conférence se tient. La réforme du financement de notre modèle social est un sujet que je défends depuis mon élection à la CPME. On ne peut pas maintenir un système qui repose exclusivement sur le travail. Notre modèle social coûte cinq points de PIB de plus que la moyenne européenne. C’est une charge écrasante qui pèse sur les salariés et les entreprises, il est urgent d’en transférer une part importante sur d’autres prélèvements et il faut par ailleurs un plan d’économies sur la protection sociale elle-même.
Alourdir la TVA peut avoir pour effet de ralentir la consommation.
Jouer sur la TVA peut en effet entraîner une hausse des prix, mais elle s’accompagne d’une hausse mécanique du salaire net pour tous les actifs, ce qui leur permet de consommer davantage. C’est un levier qui contribue à rééquilibrer la concurrence entre le made in France et les importations, en soutenant la production nationale. Et c’est aussi un moyen de financer notre modèle social par les touristes qui consomment en France.
Mais ma conviction, c’est que la TVA seule ne suffira pas. Si l’on veut opérer une bascule massive du financement de la protection sociale du travail vers d’autres formes de fiscalité, il ne faut pas chercher 5 ou 10 milliards, mais plutôt 100 milliards.
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Quels seraient les autres leviers ?
Nous devons trouver 20 à 25 milliards en réduisant les dépenses de santé sans remettre en cause la protection des Français. De deux façons : une meilleure gestion – par exemple par un contrôle renforcé des arrêts maladie –, et la sortie du tout gratuit en instaurant une participation plus importante et pour tous aux frais de santé.
Vous souhaitez remettre en question l’universalité de la gratuité des soins par une contribution financière en fonction des revenus ?
C’est une question de justice sociale ! Il est temps de sortir du mythe de la santé « gratuite ». Les soins ont un coût et faire comme si ce n’était pas le cas a fini par banaliser leur usage et alimenter un déficit massif. Dire cela, ce n’est pas remettre en cause l’universalité de l’accès aux soins – c’est chercher à le préserver. Tout le monde doit pouvoir se soigner, quels que soient ses moyens.
L’assurance chômage doit rester filet de sécurité
Mais cela ne peut plus reposer sur une logique où personne ne voit jamais la facture. Une participation modeste, adaptée aux revenus de chacun, permettrait de redonner de la valeur au soin, sans exclure personne. Prétendre que tout est gratuit pour tous, c’est en réalité favoriser ceux qui pourraient contribuer, tout en fragilisant la capacité du système à protéger les plus vulnérables.
À quelles autres pistes pensez-vous ?
Outre la TVA et la CSG, il faut revoir le système de l’impôt sur le revenu. Aujourd’hui, plus de la moitié des Français en sont exonérés. Ce n’est pas normal. Le sentiment d’injustice existe aussi chez ceux qui travaillent dur et ont toujours l’impression de payer pour les autres sans jamais avoir droit à rien pour eux-mêmes.
Vous souhaitez un impôt très progressif dont chacun s’acquitte ?
Oui, tout le monde doit payer un peu d’impôt sur le revenu. Cela ramène une fois encore à ce mythe de la société du « tout gratuit ». Cela revient à instiller l’idée que les services publics n’ont pas de valeur. Il est temps de leur en redonner. Et que les Français le mesurent.
On attend toujours la fumée blanche – ou noire – du conclave sur les retraites. Où en êtes-vous ?
Je constate qu’on est moins rapides que nos amis du Vatican : la fumée blanche tarde à arriver ! Mais je reste optimiste : j’espère qu’elle arrivera en juin !
Pour annoncer quoi ?
La réforme des retraites était nécessaire. Mais malgré cela, le régime général du privé affiche encore 350 milliards de déficit prévus sur les vingt prochaines années. Mon ambition, c’est que l’accord à venir permette, d’une part, de résoudre ce déficit à court et moyen terme, et d’autre part, de ne pas alourdir la charge des entreprises. Pour garantir un équilibre pérenne, il faut s’appuyer sur des indicateurs, indexés notamment sur l’espérance de vie, et reprendre la gouvernance du régime général des salariés du privé. Il n’est plus possible de transférer à nos enfants et petits-enfants une dette pour financer les retraites d’aujourd’hui. C’est totalement immoral !
Un accord sera-t-il possible avec la CFDT ?
Je pense qu’un accord est possible avec toutes les organisations autour de la table, et qu’il est essentiel que nous soyons collectivement au rendez-vous de l’histoire…
En 2024, plus de 800 millions de colis qui sont arrivés en France, et plus de 90 % des colis contrôlés présentent des infractions
FO et la CGT pourraient faire pression à l’Assemblée pour saboter un éventuel texte commun…
Quand on voit les organisations autour de la table, si tout le monde signe, l’accord sera majoritaire côté salariés et côté patronat. Je fais confiance à la sagesse de nos parlementaires pour respecter un accord qui serait issu des partenaires sociaux.
François Bayrou cherche 40 milliards d’économies. Vos PME redoutent-elles de passer une nouvelle fois à la caisse ?
Ma crainte, c’est qu’au-delà du budget 2026, nous payions déjà le prix du budget 2025, d’un contexte international compliqué, et surtout de décisions non prises en France pendant que notre compétitivité se dégrade. De nombreuses entreprises voient leurs contrats ne pas être renouvelés. Il y a aujourd’hui, sur nos territoires, de nombreux emplois menacés et de plus en plus d’entreprises en difficulté.
Faut-il s’attendre à une hausse du chômage, selon vous ?
Oui, je pense qu’il va augmenter. Avec son cortège de drames humains pour les salariés comme pour les entrepreneurs qui, eux, ne bénéficient pas de chômage lorsqu’ils cessent leur activité.
Êtes-vous favorable à un durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage et des règles d’indemnisation ?
Laissons déjà les nouvelles règles prendre effet. Mais il faut engager une réflexion de moyen terme : ne serait-il pas logique que la durée d’indemnisation au chômage soit liée à la capacité d’une personne à retrouver un emploi rapidement ? Un cadre à Paris aura plus de facilité à rebondir qu’un ouvrier dans une zone industrielle sinistrée, qui, lui, aura besoin d’un accompagnement beaucoup plus poussé. L’assurance chômage doit alors rester un filet de sécurité, pas un droit de tirage.
Diriez-vous qu’aujourd’hui, le principal danger pour nos PME vient des États-Unis ou plutôt de l’Asie ?
Le vrai danger aujourd’hui pour nos PME est sous-estimé, ignoré même : ce sont les plateformes chinoises à bas coût comme Temu ou Shein. C’est une question de survie pour certains secteurs d’activité. Si l’on continue à laisser entrer des colis sans TVA, sans droits de douane, sans respect des normes, on prend le risque de voir disparaître des pans entiers du commerce. C’est, en 2024, plus de 800 millions de colis qui sont arrivés en France, et plus de 90 % des colis contrôlés présentent des infractions. Et on ne fait rien.
Et pendant ce temps, nos commerçants, eux, jouent le jeu, paient leurs charges, créent de l’emploi local, et on leur impose à chaque fois des nouvelles normes. C’est tout un modèle de société qui est menacé. Si on ne réagit pas maintenant, ce ne sont pas quelques boutiques qui fermeront, ce sont des pans entiers de notre économie qui s’effondreront. Un tsunami nous menace, l’histoire nous jugera si on n’agit pas vite et on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
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