Le moment est venu. À 39 ans, Luka Modrić a officialisé son départ du Real Madrid, mettant un terme à treize saisons d’une fidélité exemplaire et d’un football d’orfèvre. Il l’a annoncé ce jeudi 22 mai 2025, dans un message bref, presque pudique : « Le moment est venu. Le moment que je n’ai jamais voulu voir arriver, mais c’est le football. » Quelques mots, à son image. Ce départ sonne comme la fin d’une époque. Le Real sort d’une saison blanche – sans Liga, sans Coupe, sans Ligue des champions. Et Modrić s’apprête à ranger le maillot blanc qu’il aura porté 13 ans durant avec une constance rare et une élégance jamais démentie.
Il était arrivé en 2012 dans une forme d’indifférence. C’est José Mourinho, alors sur le banc madrilène, qui pousse pour le faire venir de Tottenham. Le Croate débarque pour 40 millions d’euros, silhouette frêle, regard timide, cheveux longs. Le Bernabéu l’accueille avec scepticisme. La presse espagnole le brocarde : trop discret, trop léger, trop quelconque. Mais Luka Modrić ne répond pas. Il s’installe. Sans bruit, sans fracas. Il ne force rien. Il façonne son destin, touche après touche, jusqu’à faire du blanc madrilène une seconde peau.
La suite appartient à l’histoire. 590 matchs, 6 Ligues des champions (2014, 2016, 2017, 2018, 2022, 2024), 4 Liga, 5 Coupes du monde des clubs… et une place à part dans le panthéon madrilène. Mais au-delà des trophées, ce sont les instants qui font la trace. Ce but à Old Trafford, en 2013, dans un huitième tendu contre Manchester United. La passe de l’extérieur pour Rodrygo, contre Chelsea en 2022, à un quart d’heure de l’élimination : une offrande qui ressuscite le Real. Cette chevauchée face au PSG, la même année, où à 36 ans, il traverse le terrain pour relancer Benzema et faire chavirer le Bernabéu. Et ce corner déposé sur la tête de Ramos en 2014, à la 93e minute, pour accrocher la prolongation et bientôt la Décima.
Modrić ne remplissait pas les colonnes de statistiques, mais il éclairait le jeu
Car Modrić est un joueur de séquences. Des séquences qui changent les matchs. Et des matchs qui changent les saisons. À Madrid, il aura été bien plus qu’un milieu de terrain : un point d’équilibre, une certitude. Pendant des années, il a formé avec Toni Kroos et Casemiro un trio mythique. Entre le métronome allemand et le bulldozer brésilien, il était le liant, le cœur, le cerveau. Carlo Ancelotti l’appelait « le professeur ». Zinédine Zidane le voyait comme « un joueur d’exception, à la fois modeste et infaillible ». Modrić ne remplissait pas les colonnes de statistiques, mais il éclairait le jeu. À une époque qui récompense le spectaculaire, il rappelait la valeur du juste.
Pour comprendre Modrić, il faut revenir au commencement. Il naît en 1985 dans un hameau isolé du massif de Velebit, en Dalmatie, au sein d’une famille serbe modeste. Il grandit à Zadar, en pleine guerre de Yougoslavie. Son grand-père est tué par des miliciens serbes. La maison familiale est détruite par un bombardement. Sa mère, serbe elle aussi, survit. Son père s’engage dans l’armée croate. Luka, que ses proches surnomment « Zouko », vit alors dans un hôtel transformé en camp de réfugiés, entouré de soldats, de ruines et de silence. Il tape dans un ballon au milieu des gravats, dans une Croatie meurtrie. Il ne dit rien. Il apprend à tenir.
La suite après cette publicité
Ce passé n’est pas un roman héroïque. C’est une clef. Il explique la discrétion, la rigueur, l’obstination. Modrić n’a pas grandi avec des projecteurs dans les yeux, mais avec la peur, la perte et l’effort pour seule lumière. Il a appris à faire avec peu. Et, surtout, à faire mieux que les autres. Cette enfance cabossée ne l’a pas rendu amer, mais concentré. Chaque ballon était une chance. Chaque passe, une conquête. Chaque match, une manière de dire : je suis encore là. En 2018, il reçoit le Ballon d’or. Il vient de mener la Croatie en finale de la Coupe du monde. Le monde découvre ce que le Real savait depuis longtemps : que ce joueur frêle, silencieux, un peu hors du temps, est un géant.
Il aurait pu partir plus tôt, répondre aux appels du Golfe, céder aux millions. Il a choisi de rester. D’accepter un rôle plus discret, d’entrer en jeu à la 70e minute, de transmettre sans faire de bruit. Il est devenu une mémoire vivante, un repère silencieux dans un vestiaire en mutation. Jusqu’au bout, il aura respecté le Real Madrid comme un moine respecte son cloître : avec dévotion, sans jamais trahir l’esprit de la maison. Peut-être poursuivra-t-il ailleurs, dans un dernier contrat exotique. Peut-être portera-t-il encore le maillot à damiers en 2026, pour une dernière campagne mondiale avec la Croatie. Mais l’histoire, la vraie, celle qui compte, s’achève ici. Avec le Real.
Source : Lire Plus






