C’est une tradition : à l’issue de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, tous les journalistes se ruent en salle de conférence de presse afin de recueillir les premières réactions des lauréats. La 78e édition n’a pas failli à la règle avec, en préambule, Juliette Binoche entourée de son jury, qui a raconté son expérience durant deux semaines riches en sensations fortes. « On a l’impression d’avoir gravi une montagne et grandi ensemble, on s’est vraiment écouté concernant le cinéma et la sensibilité de chacun. On se bat avec notre passion pour parler de l’être humain, de tout ce que nous traversons, et on s’en sent responsable. On a tous été ancré dans l’envie de s’élever, mais aussi de défendre une vérité qu’on perçoit. On a changé au fur et à mesure, on s’est convaincu les uns et les autres, on s’est aidé pour essayer de composer le meilleur palmarès. » Elle a justifié son choix d’attribuer la Palme d’or à l’Iranien Jafar Panahi pour Un simple accident, le récit d’un garagiste qui pense reconnaître son tortionnaire quand un client qui boite lui demande de réparer la voiture. « En voyant le film, il y avait une telle évidence, a soufflé l’actrice française. Il émerge d’un lieu de résistance et de survie, et il est complètement nécessaire aujourd’hui. Il nous semblait important de le mettre au plus haut. Je suis très émue car Jafar Panahi se trouvait en prison voilà quinze ans, je suis heureuse de fêter sa libération aujourd’hui. L’art triomphera toujours. »
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Quand l’heureux gagnant est arrivé, accompagné de ses acteurs qui lui ont fait une haie d’honneur, l’assistance s’est levée pour témoigner son respect et son admiration pour celui qui n’avait plus voyagé depuis sa condamnation en 2010 à une peine de prison ferme pour propagande contre le régime, et relâché en 2023 après une grève de la faim et de la soif. Égal à lui-même, Jafar Panahi est resté humble. « À l’annonce de la Palme d’or, beaucoup d’images ont circulé dans ma tête, j’ai vu les visages un par un de tous les amis incarcérés avec moi. À l’époque, on était enfermé, mais le peuple iranien luttait pour la liberté dans la rue. Je songe aux collègues qui ont travaillé dans des conditions plus difficiles que moi, ont contribué au rayonnement du cinéma iranien dans le monde et par conséquent permis que je sois là maintenant. Il faut qu’ils sachent qu’on ne s’arrêtera jamais et qu’on a le pouvoir d’imaginer des solutions, quel que soit le cas de figure. » Il a expliqué qu’il recevait une avalanche de messages, ce qui lui a donné beaucoup d’espoir quand à ceux qui vont lui emboîter le pas au cours des prochaines années.
« Un conclave avec du champagne »
La soirée a été joyeuse, commençant par une plaisanterie de l’Américain Jeremy Strong, membre du jury : « La délibération m’a paru comme un conclave avec du champagne ! » Suivie par les considérations lunaires du Chinois Bi Gan, satisfait de son prix spécial pour Résurrection. « Je le dédie à mes enfants. Dans une société en proie à des bouleversements, c’est bien qu’un long métrage comme le mien soit récompensé. En cours de tournage, on n’avait plus d’argent. Alors j’ai fini avec un plan séquence, sans coupes, un domaine que je maîtrise. »
Les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne se sont amusés à énoncer toutes leurs victoires au festival : deux prix du scénario (pour Le Silence de Lorna en 2008 et Jeunes mères en 2025), deux Palmes d’or (pour Rosetta en 1999 et L’Enfant en 2005), un Grand Prix (pour Le Gamin au vélo en 2011), un prix du 75e anniversaire (pour Tori et Lokita en 2022), un prix de la mise en scène (pour Le Jeune Ahmed en 2019) et deux prix d’interprétation (Émilie Dequenne pour Rosetta en 1999 et Olivier Gourmet pour Le Fils en 2002) ! Ils ont ensuite salué la nécessité des maisons maternelles belges, qui recueillent des femmes en détresse et leurs nouveau-nés. « Des endroits où règne la bienveillance et où on préserve et on développe la fragilité de la vie, dans un univers de violence où le droit du plus fort s’exerce sans scrupule. Il faut sauvegarder ce service public qui prône la solidarité. »
L’auditoire a été attendri lorsque le Brésilien Kleber Mendonça Filho a appelé en visio son compatriote Wagner Moura, respectivement prix de la mise en scène et prix d’interprétation masculine. Il était absent car en tournage à Londres. Mais aussi quand la Française Hafsia Herzi a accompagné Nadia Melliti, prix d’interprétation féminine pour La Petite dernière, âgée de 23 ans, impressionnée. Elle a qualifié son aînée de « minutieuse, authentique et compréhensive » Oliver Laxe, prix du jury pour l’ovni Sirat, d’origine franco-espagnole, a lui aussi touché par son discours. « J’ai gardé la foi et voilà le résultat. J’ai entrepris ce film comme si c’était le dernier, sans me mentir à moi-même et en ne craignant pas l’échec qui fait progresser. Un réalisateur doit mettre toute son énergie pour ouvrir le cœur du spectateur et lui dire des choses positives pour qu’il n’ait plus jamais peur. » Et le Norvégien Joachim Trier, Grand Prix pour Sentimental Value, a conclu : « Cannes est une inspiration et m’encourage à poursuivre dans cette voie. »
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