
Il y a vingt-sept ans et six mois, Cyrille, mon mari, a été victime d’un grave accident de voiture. Ce soir-là, notre vie, celle de nos trois filles, de nos entourages, ont basculé dans un univers inconnu. Car Cyrille a survécu avec un Locked-in Syndrome [syndrôme de l’enfermement, NDLR] : emmuré dans son corps, privé de parole, mais libre dans son cœur. Moi, instinctivement, j’ai choisi de rester à ses côtés, où qu’il aille et quoi qu’il arrive. Jeune mère de trois petites filles de 4, 2 ans et 6 mois… Il fallait sauver notre famille !
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Je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait représenter. Je voyais que Cyrille était vivant, qu’il souffrait, en silence, sans se plaindre. Sa survie s’est imposée à moi comme l’évidence qu’il n’y avait aucune question à se poser. Qui suis-je pour juger si sa vie vaut la peine d’être vécue ou non ? Il vivait, c’est tout. Nous avions la force de l’amour, l’accident n’a rien changé. Ce qui a changé, c’est l’apparence de Cyrille, sa manière de communiquer, sa dépendance totale.
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Il a fallu réinventer le quotidien. Sacrée révolution ! Suivre ses soins, élever seule les enfants, travailler, organiser le quotidien et gérer la paperasse, maintenir une vie sociale, se battre pour protéger et maintenir notre équilibre familial. Tout le monde s’y est mis : des soignants de toutes disciplines, nos familles et amis, inconditionnellement. Sans eux nous n’y serions pas arrivés. Cyrille a transformé notre regard sur le handicap, a modifié nos priorités, consolidé nos valeurs et nous a invités à nous surpasser. Après huit ans de silence, son premier énoncé, lettre par lettre, a été : « Je suis vivant, je veux vivre. »
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Notre inquiétude grandit au fil du rejet des amendements sur le projet de loi sur « l’aide à mourir »
Ces mots ont récompensé nos efforts et levé le fardeau des nombreuses difficultés rencontrées dans un système de santé qui se dégrade d’année en année ; du découragement, du doute, de l’épuisement, que rencontrent toutes les personnes confrontées à ce type d’existence incurable, au pronostic vital menacé, nécessitant une assistance médicale permanente. Il aurait pu mourir, plusieurs fois, de complications. Mais la médecine l’a sauvé, la loi l’a protégé. Il a pu décider de vivre, donner son avis. Et à chaque fois que sa vie a triomphé sur sa mort, il nous a donné un coup de booster.
Mais depuis quelques semaines, notre inquiétude grandit au fil du rejet des amendements sur le projet de loi sur « l’aide à mourir ». La levée des barrières de protection juridiques et déontologiques, génère un sentiment vertigineux d’abandon : si cette loi était passée il y a vingt-sept ans, Cyrille ne serait pas là aujourd’hui, il n’aurait pas vu grandir ses filles ni embarqué des centaines d’amis dans de folles aventures, goûté à la joie des paysages, du mariage de sa fille et de la naissance de son petit-fils…
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Et demain ? On lui proposera de mourir plutôt que de vivre ? Parce que sa vie sera jugée inutile ou trop coûteuse ? À cela il répond : « Je suis vivant, je n’ai pas à justifier de la valeur de mon existence, je suis, j’ai besoin de vous. » Et moi, son aidante, je répondrai exactement la même chose.
Mesdames, Messieurs les députés, épargnez-nous s’il vous plaît la douloureuse peine de devoir nous poser chaque matin la question de l’« aide à mourir » plutôt qu’à vivre.
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