Le JDD. La victoire de Bruno Retailleau signe-t-elle le « retour de la droite », comme le professent les militants et les cadres de LR ?
Jean-Yves Camus. Sans aucun doute. Encore faut-il préciser de quelle droite il s’agit : c’est une droite résolument conservatrice mais responsable, soucieuse de l’identité nationale et de la souveraineté nationale, favorable bien sûr à l’économie de marché mais n’érigeant pas en dogme la mondialisation libérale. On peut la rattacher au « conservatisme compassionnel » de Cameron et Bush dans le souci de conserver un modèle de protection sociale pour les plus démunis, mais qui n’est pas l’État-providence.
Y a-t-il encore un espace politique pour Les Républicains face au bloc central ?
Certainement, parce que le bloc central est un compromis permanent entre des options contradictoires qui mènent à la non-décision. On ne peut à la fois mettre en garde contre l’islamisme et tancer le ministre qui monte au front sur le sujet avec un rapport qui est un constat de faillite, des aveuglements qui perdurent. On ne peut pas vouloir la survie de notre civilisation, qui se joue aussi au Moyen-Orient, et convoquer l’ambassadeur d’Israël. Ni vouloir rassembler les Français et les diviser sans cesse, comme cela est fait depuis 2017. On ne peut pas vouloir la grandeur de la France en se couchant devant Alger. Le problème de Retailleau désormais, c’est de décider s’il donne l’impression de composer avec le bloc central ou s’il prend son autonomie.
« Bruno Retailleau devra dire s’il compose avec le bloc central ou pas »
Dans la cartographie des droites françaises, où classez-vous Bruno Retailleau ?
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Je renverse l’exercice : que le ministre de l’Intérieur nous dise qui sont ses maîtres à penser et ses auteurs favoris, quel est son rapport au catholicisme social et à la doctrine sociale de l’Église. Ce faisant, je donnerai des pistes.
Bruno Retailleau peut-il parler au bloc populaire et attirer une partie de l’électorat du Rassemblement national ?
Théoriquement oui, grâce à son discours sur la souveraineté, la sécurité et l’immigration. Mais il va devoir se dévoiler en tant qu’homme, s’ouvrir, dépasser la caricature que ses opposants donnent de lui, celle du bourgeois réactionnaire compassé et clérical. L’électorat RN l’attend sur le pouvoir d’achat, la désindustrialisation, les retraites, le salaire minimum. Il faut qu’il prenne le contrepied de ce bloc central et de son libéralisme absolu qui est dur avec les faibles et complaisant avec les forts.
Édouard Philippe et Bruno Retailleau affichent leurs bonnes relations ces derniers temps. Croyez-vous en la possibilité d’un ticket commun entre les deux hommes en 2027 ?
En France, il n’y a pas de ticket. Notre présidence garde des traits de monarchie républicaine. Penser « ticket », c’est déjà trahir les institutions de la Ve République et glisser vers une américanisation des esprits. Retailleau Premier ministre de Philippe ? Cela ne lui permet pas de mettre en œuvre son projet.
La droite de gouvernement n’a plus été au pouvoir depuis près de quinze ans. En a-t-elle véritablement profité pour refonder son logiciel idéologique ?
Il existe depuis longtemps un déficit d’idéologie, terme qui est d’ailleurs devenu un gros mot puisque le bloc central croit avant tout à « l’expertise » et aux mécanismes technocratiques, donc à l’enfermement dans la doxa libérale. En dépit de la qualité des travaux de la Fondapol notamment, la droite doit lire, apprendre de ce qui se publie à l’étranger, renouer un lien organique avec les intellectuels.
*Chercheur associé à l’Iris, Jean-Yves Camus dirige l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès.
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