Qui aime la liberté souhaite que les femmes ne se voilent pas. Je pense qu’il n’est nul besoin de signes ostentatoires pour vivre sa religion et la faire valoir. Je viens d’une famille musulmane pour laquelle la véritable foi ne s’embarrasse pas d’accoutrements et de faux-semblants. Le seul endroit où je consens volontiers à porter un bout d’étoffe sur la tête est le cimetière où repose ma mère, à Carthage, en Tunisie.
Depuis trois ans que je m’y rends régulièrement, je n’arrive pas à me défaire de son foulard sur mes cheveux, comme s’il représentait un illusoire lien entre nos deux mondes. Je le porte aussi par respect pour les autres familles qui visitent leurs morts. En dehors de cet espace sacré, j’ai toujours appréhendé le voile comme le tissu de la servitude sans pour autant penser que derrière chaque femme voilée sommeille une idéologie conquérante. Mes quelques années en tant que professeur d’université à l’époque où le voile était interdit dans les facultés tunisiennes m’ont beaucoup appris sur la complexité des situations. Je sais aujourd’hui qu’on ne gagne pas la bataille en voulant l’interdire partout, y compris dans l’espace public.
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Symbole d’enracinement
S’il est évident que je trouve parfaitement choquant qu’une jeune fille soit contrainte de le porter et tout aussi désolant qu’elle l’assimile à un geste d’émancipation, l’interdiction me semble hélas illusoire et, dans bien des cas, contre-productive. J’y vois aussi l’incurie de responsables politiques qui, tout en ouvrant grand les portes d’une immigration incontrôlée, veulent proscrire le voile alors qu’ils n’ont fait que l’encourager pendant des décennies par le nombre et donc la non-assimilation.
Leur raisonnement est simple : interdisons le voile pour éradiquer le fanatisme. On aimerait tant y croire. Ce sont souvent les mêmes d’ailleurs qui brandissent le bouclier de la laïcité, devenu passoire de la République à force de coups de canif dans ce qui reste d’un vivre-ensemble fantasmé. Ne voient-ils pas, ces responsables, qu’au-delà de l’aspect religieux et souvent radical, le voile est aussi appréhendé par certaines comme un symbole d’enracinement dans une société débarrassée de tout lien. Le voilement des femmes est d’autant plus important en Occident qu’il s’accompagne de la crainte de se voir engloutir par la civilisation du néant.
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L’interdiction du voile ne peut suffire si on ne propose pas autre chose
Paradoxalement, je trouve qu’un tel phénomène de voilement a du bon car il force les Occidentaux à se poser enfin la bonne question : celle de ce qu’ils proposent au-delà de la seule référence aux droits de l’homme. Je me souviens d’une conversation avec l’une de mes étudiantes en Tunisie qui avait été acceptée en master à la Sorbonne à Paris. Avant de partir, elle m’avait dit craindre par-dessus tout de vivre dans une société qui n’a plus rien à proposer, si ce n’est d’être prétendument libre, libre de toute attache.
Attaques terroristes en terre d’islam
Ce point fondamental est instrumentalisé par les islamistes qui n’ont plus qu’à installer un islam radical dans des sociétés sans repère ni identité propre. Qui peut croire que l’homme sans histoire, sans culture, sans famille et sans civilisation soit un avenir désirable pour des populations attachées aux héritages et sentimentalités que confère une terre. Pour toutes ces raisons, la seule mesure d’interdiction du voile ne peut suffire si on ne propose pas autre chose comme projet qu’un paradis diversitaire, véritable cimetière de nos idéaux.
Pour y arriver, il faudra le concours des Français musulmans. Quant aux incendiaires qui affirment qu’islam et islamisme sont parfaitement identiques, je les crois dénués de tout sentiment car ils ne peuvent ignorer le long cortège des attaques terroristes qui ont aussi touché les pays musulmans. J’ai été personnellement endeuillée, il y a quelques années, par l’une de ces attaques. Mon ami d’enfance et frère d’âme Mohamed-Ali Azzabi a perdu la vie avec son épouse lors d’une soirée de réveillon en Turquie. Tandis que ces jeunes parents d’un bébé de cinq mois fêtaient la Nouvelle Année dans la grande discothèque Reina d’Istanbul, un barbare islamisé a fait irruption, ouvrant le feu sur les clients qui dansaient et buvaient de l’alcool. Trente-neuf personnes ont été tuées, pour la plupart des ressortissants de pays arabes venus se divertir en Turquie.
Mon ami a essayé de sauver son épouse en la suppliant de plonger dans les eaux glacées du Bosphore alors qu’il était déjà touché et à terre. Tétanisée, elle resta finalement à ses côtés. Ils partirent ensemble. Je me souviens encore de nos conversations sur l’islam tel que nos parents et grands-parents nous l’ont inculqué. Non, l’islam n’est pas l’islamisme. Si tel était le cas, ils seraient morts pour rien.
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