Cela fait vingt ans que la France n’a plus connu de référendum national. Il y en eut cinq sous le général de Gaulle, et seulement cinq autres sous tous ses successeurs ; la tendance n’est pas encourageante. Que dit pourtant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. »
« Personnellement » ou « par leurs représentants » : l’adoption directe des lois par les citoyens prime la voie représentative. Que dit la Constitution ? « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Ce sont les deux jambes de notre régime : la première est fondée sur le parlementarisme, mais elle ne va pas sans la seconde, que nous avons laissée sans exercice.
La démocratie est, très littéralement, le pouvoir du peuple. C’est en particulier le pouvoir de faire les lois lui-même. Elle n’est jamais chimiquement pure, sauf, comme le disait Louis de Jaucourt dans l’Encyclopédie, dans une « bicoque, comme San Marino en Italie, où cinq cents paysans gouvernent une misérable roche dont personne n’envie la possession ».
L’intelligence politique consiste à clarifier le réel pour choisir
D’ailleurs, la plupart des philosophes classiques ne préconisaient pas une démocratie directe totale ; ils privilégiaient ce qu’on appelait un régime mixte, qui prenait un peu à la monarchie, un peu à l’aristocratie et un peu à la démocratie. La Constitution de 1958 est, sur le papier, tout à fait conforme à cet idéal. Mais une Constitution ne vaut que par sa pratique. La classe politique, depuis vingt ans, a fait un refus d’obstacle devant le référendum.
On nous dit, pour justifier cette résistance, que le référendum ne serait pas adapté à la complexité des problèmes du monde. Il conduirait à des choix binaires, à la tyrannie des émotions, aux dangers de la désinformation. Bien sûr, le monde est complexe. Mais c’est précisément le rôle d’un homme politique que de traduire cette complexité en propositions lisibles. Quand le général de Gaulle prononce l’appel du 18 juin, il ne se contente pas de dire que la situation est compliquée – pourtant, elle l’avait rarement autant été. Il propose justement un choix binaire : collaborer ou continuer le combat. L’intelligence politique consiste à clarifier le réel pour permettre la prise de décision.
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C’est pourquoi rien n’est plus adapté aux difficultés actuelles que la démocratie. On l’accuse souvent d’être molle, lente, incapable de se décider, tandis que les régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie seraient capables de voir loin et de décider vite. On a tort. La démocratie est, de tous les régimes, le plus puissant. Quand une décision est prise par le peuple entier, elle a une force de frappe immense. Quand les partis politiques, au Parlement, se révèlent inaptes à trancher les grandes questions de notre temps, le référendum offre le moyen de trancher. Sur quantité de sujets, de l’immigration à la fin de vie en passant par l’énergie ou la fonction publique, les Français réunissent de larges majorités, alors que leurs représentants se divisent en vain. Par un usage assumé du référendum, nous pourrions sortir de l’inertie où nous sommes aujourd’hui plongés, et retrouver notre puissance d’action.
Mais encore faut-il être en démocratie.
Faire de la France une démocratie, Raphaël Doan, Passés composés, 130 pages, 10 euros.
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