
Il y a cent ans, la première finale des Internationaux de France, sous cette appellation, voyait la victoire de René Lacoste sur Jean Borotra (7-5, 6-1, 6-4). Elle eut lieu à la Faisanderie, un club de la haute bourgeoisie dans la verdure de Saint-Cloud, qui possède toujours une piste d’athlétisme gazonnée. Les deux champions étaient la moitié de ce qu’on allait bientôt appeler « les Mousquetaires du tennis français ». Borotra, « le Basque bondissant », c’était le jeu athlétique par excellence. Il puisait son énergie et sa condition physique dans la pelote basque qu’il avait pratiquée étant enfant et jouait d’ailleurs en espadrilles.
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Lacoste, c’était la science du détail : il ajustait ses raquettes et laçait ses chaussures avec une très grande minutie. Il avait appris le tennis en tapant inlassablement des balles contre un mur, chez lui à Courbevoie, il avait écrit un livre de perfectionnement, inventé une machine à renvoyer des balles…. Avec Henri Cochet et Toto Brugnon, les Mousquetaires ont remporté six éditions de la Coupe Davis entre 1927 et 1932. C’est à cette époque que l’on a construit le site de Roland-Garros puisque le vainqueur remettait uniquement son titre en jeu lors d’une finale à domicile ; il fallait un écrin à la hauteur de l’événement. C’est grâce à eux et à Suzanne Lenglen que le tennis s’est démocratisé dans notre pays. Pourquoi ce surnom ? Les Mousquetaires étaient les terreurs du circuit.
Malgré des difficultés de transport qu’on n’imagine pas aujourd’hui, ils sillonnaient le monde en bateau, en train, en avion parfois avec leurs deux raquettes sous le bras. Le Lyonnais Henri Cochet, avec qui j’ai partagé de nombreux déjeuners au Racing dans les années 1960, me racontait comment il se débrouillait pour s’entraîner sur les paquebots : corde à sauter, médecine-ball, escaliers, sprints sur le pont… Toto Brugnon était un merveilleux joueur, un aventurier qui avait soif de parcourir le globe. Le fameux crocodile de Lacoste est né vers 1927, quand René est arrivé avec ses propres chemises siglées. À l’époque, on disait que le point se construisait au fond du court et se gagnait au filet, comme les crocodiles jaillissent à la surface.
Un soir de 1981, lors d’une remise de médailles pour mes perchistes, il vint me voir : « J’ai un service à vous demander. Vous allez souvent aux États-Unis. Pourrais-je gracieusement équiper vos athlètes ? » J’étais sidéré par sa simplicité. Ce fut le début d’une belle collaboration. Quant à Borotra, je l’ai retrouvé dans les vestiaires de Lyon après notre victoire en Coupe Davis en 1991. Dans le tumulte de l’euphorie, Yannick avait fait le silence et dit « Les gars, voilà Jean ! ». J’ai vu arriver cet homme de quatre-vingt-treize ans, en costume, très élégant, heureux d’être avec ses successeurs, lançant plusieurs fois « hip hip hip hourrah ! ». Yannick était aux anges. J’étais émerveillé de vivre ce moment auprès d’une telle légende du sport.
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