
La désillusion des idiots utiles des Khmers rouges n’avait pas servi de leçon Les mêmes intellectuels, à la clairvoyance proverbiale, ont cru, de nouveau, trouver dans la Révolution islamique iranienne de 1979 l’occasion de confirmer leurs espérances révolutionnaires. Ce fut la même déception. Leur idéologie faisait pourtant du Mojâhedin du peuple, l’héritier du bolchévique et du Vietminh. L’extrême-gauche iranienne pensa alors faire cause commune avec les tenants chiites de la Charia pour renverser le pouvoir « occidental » du shah et s’imposer. De cette première forme d’islamo-gauchisme, c’est l’islamisme une fois au pouvoir qui consuma le gauchisme. Aujourd’hui, La France insoumise vilipende l’action israélienne en Iran pour ne pas froisser une base communautariste qui devrait lui servir de marchepied dans la conquête du pouvoir. S’instruire du précédent iranien serait peut-être de nature à la rendre plus prudente.
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La modernisation de l’ancienne puissance achéménide voulue depuis 1925 par le nouveau roi Reza Shah Pahlavi n’endigua pas l’islamisation du pays. Ainsi la suppression du tchador de l’espace public (1936) ne permit pas de désislamiser la société iranienne. Réfugié depuis 1963 en Irak, Rouhollah Khomeiny élaborait, de son côté, une pensée politique désengoncée de références occidentales et préparait, dans le secret, « sa » prise du pouvoir. Elle se fondait alors sur l’improbable alliance d’un rigorisme religieux aux accents révolutionnaires et d’un nationalisme bourgeois susceptible de séduire les cadres. Ces contradictions, habilement émoussées par le discours spirituel, étaient surmontées par la volonté commune de faire partir le Shah. Islamistes et marxistes partageaient cependant la conviction que le « retour de l’Imam » serait l’occasion de rétablir la justice au profit des « déshérités » et d’accomplir une prophétie émancipatrice. Il ne manquait plus à cette coalition de circonstances que le concours de l’Occident pour triompher
Depuis 1953, l’ingérence américaine à Téhéran s’accentue face au risque de contagion communiste. De coups d’État en accords militaires et commerciaux, les États-Unis font du shah leur allié obligé. Mais en 1977, le président Carter entame ce lien en réclamant le respect des droits de l’homme fragilisant d’autant le Pahlavi en donnant quitus à ses opposants. Conspué lors de son séjour à Washington par des étudiants iraniens étrangement libres de l’approcher, le roi, définitivement lâché par les Américains, doit fuir son pays en janvier 1979. Rien ne peut plus empêcher la victoire de Khomeiny que la Maison-Blanche anticipe en demandant discrètement aux officiers iraniens d’en accepter l’autorité. L’ayatollah ne manque pas non plus d’appui côté français. Paris a ainsi affrété un vol spécial d’Air France à l’exilé, accueilli depuis 1978 à Neauphle-le-Château où il eut le loisir de dispenser ses idées radicales et de charmer la gauche intellectuelle.
Les progressistes ont perdu le monopole de la contestation antilibérale
Les chiites abandonnent rapidement la politique de dissimulation, la takiya, qui leur avait permis de conquérir le pouvoir pour s’en arroger le monopole. La prise de l’ambassade américaine, le 4 novembre, par les étudiants iraniens accélèrent la cléricalisation du pouvoir. Pourtant personne n’avait cru possible la confiscation de la révolution par les religieux. Discrets jusqu’en 1978, ils sont étouffés médiatiquement par l’agitation des intellectuels tiers-mondistes. Mais à la faveur de manifestations d’ampleur, les Mojâhedin du peuple prennent soudainement la lumière. Leur ascension, par la mobilisation de masse, est désormais irrésistible. Les progressistes ont perdu le monopole de la contestation antilibérale. Le mouvement islamiste animé par la convergence des luttes universelles pour les opprimés se recentre alors sur le seul territoire musulman dans un combat civilisationnel contre l’Occident. La confrontation n’a plus rien avoir avec la lutte des classes et pourtant c’est moment choisi par des penseurs français pour soutenir le régime chiite.
Les révolutionnaires parisiens crurent voir dans l’ayatollah « aux mains nues », le libérateur des dominés. Sartre, fier de présider le Comité pour la défense des prisonniers politiques iraniens, exalte l’anticolonialiste qui a humilié l’Amérique. Tout aussi euphorique, Foucault se rend en Iran convaincu d’assister à l’irruption inédite d’une « spiritualité politique » à même de transfigurer le combat révolutionnaire. Moins oppressant qu’émancipateur, selon lui, l’islam chiite n’aurait aucune prétention politique. Démenti par les faits, Foucault ne fera jamais amende honorable. Dans cet océan d’aveuglement, quelques voix sagaces comme celle de Pierre Manent, rachèteront un monde intellectuel fourvoyé. Les élites progressistes iraniennes ne furent pas plus lucides, dupées par le discours « révolutionnaire » du Guide suprême qui n’avait pourtant tenu que des promesses sociales vagues mais suffisantes pour rallier les mouvements marxistes.
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L’extrême-gauche iranienne est la première persécutée. Ceux qui crurent remplacer les religieux jugés incapables de gouverner sont éliminés. Même les affidés de Khomeiny, mais « partisans du compromis », sont purgés sous la férule des Gardiens de la révolution. L’islamo-gauchisme a son récit fondateur. Ceux qui pensaient se servir de l’islamisme pour faire triompher leur révolution ont été balayés par l’Islam politique. La leçon iranienne devrait nous inquiéter. Elle met en exergue le cas clinique d’une prise inattendue de pouvoir par des islamistes portés sur les épaules de l’extrême-gauche antioccidentale et des libéraux naïfs. Ils finiront tous dévorés par ceux qu’ils auront installé au pouvoir. Il serait bon de s’en souvenir.
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