Le JDD. Quels sont, selon vous, les principaux points problématiques de cette décision ?
Olivia Sarton. En premier lieu, la disqualification systématique du sexe biologique au profit du seul ressenti de genre. Or, on ne peut pas effacer le sexe biologique comme s’il n’existait pas. De nombreux pays l’ont récemment réaffirmé, notamment pour l’accès aux soins, aux espaces d’intimité ou à certaines disciplines sportives. Le sexe biologique est un critère essentiel de sécurité, de justesse médicale et d’équité. Deuxième problème : la décision part du principe que le mineur « sait » qui il est, et que sa déclaration suffit à engager un changement d’état civil ou une transition.
« L’identité se construit sur le temps long et peut être fragilisée par de multiples facteurs »
C’est une vision réductrice. L’identité se construit sur le temps long et peut être fragilisée par de multiples facteurs : traumatismes, stéréotypes, troubles psychiques… Il existe aujourd’hui un consensus de plus en plus large pour dire qu’il faut d’abord une prise en charge globale, psychothérapeutique, et ne pas médicaliser trop vite. Cette prudence est absente de la décision du Défenseur des droits.
En quoi les évolutions récentes à l’étranger devraient-elles faire réfléchir les autorités françaises ?
Le Défenseur des droits semble ignorer les controverses scientifiques et médicales en cours. Sa position paraît aujourd’hui dépassée, voire isolée, quand on voit que des pays comme la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, la Finlande ont profondément revu leur approche. Le rapport Cass, au Royaume-Uni, a par exemple conduit à l’arrêt des prescriptions de bloqueurs de puberté et à une quasi-interdiction des traitements hormonaux pour les mineurs, sauf dans le cadre très strict d’études cliniques… qui n’ont pas été mises en place. Aux États-Unis, la Cour suprême a validé il y a quelques jours la loi du Tennessee interdisant les traitements médicaux de transition pour les mineurs. Elle reconnaît la légitimité d’un État à protéger les enfants de décisions irréversibles prises trop tôt et à privilégier un accompagnement qui les aide à accepter leur sexe biologique. C’est une décision majeure, qui crée une jurisprudence forte pour tout le pays. La tendance internationale est claire.
La suite après cette publicité
Une décision-cadre relative au respect de l’identité de genre des personnes transgenres pouvait-elle tenir un discours différent ?
Ce n’est pas une surprise : le Défenseur des droits suit depuis plusieurs années une ligne très transaffirmative, sans donner de place au contradictoire. À notre connaissance, aucun acteur appelant à la prudence – ni Juristes pour l’enfance ni l’Observatoire de la petite sirène – n’a été consulté. Il aurait pu se limiter au cadre posé par la loi de 2016, qui permet uniquement aux adultes de changer la mention de leur sexe à l’état civil, et rappeler clairement que les mineurs, eux, doivent être protégés. Au lieu de cela, sa décision pousse à élargir ce cadre. Idem pour les parcours médicaux de transition.
Vous évoquez aussi la question de l’état civil des enfants nés de parents transgenres. Pourquoi ce point vous semble-t-il sensible ?
Aujourd’hui, certains adultes trans demandent à être inscrits comme « mère » ou « père » en fonction de leur genre ressenti et non de leur sexe biologique. Le Défenseur soutient cette logique, au mépris du principe fondamental selon lequel l’état civil doit refléter la réalité objective. On fait ainsi peser sur l’enfant les conséquences d’un choix parental. Ce n’est pas à lui de porter l’effacement du réel au nom du ressenti des adultes.
Cette décision a-t-elle un impact juridique réel ?
Elle relève du droit souple, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de valeur contraignante dans la hiérarchie des normes comme une loi ou un règlement. Mais elle peut influencer la pratique : des requérants peuvent s’en saisir pour appuyer une demande. Le Défenseur peut aussi intervenir directement dans des affaires, à la demande d’une partie, en produisant un avis qui, bien que non obligatoire, peut peser sur une décision. C’est ce qui rend ce type de recommandation potentiellement influente y compris dans des situations sensibles – comme un mineur qui demanderait une transition contre l’avis de ses parents.
*Olivia Sarton est la directrice scientifique de l’association Juristes pour l’enfance.
Source : Lire Plus





