Avant mon élection, il y a plus de dix ans, dans une commune de quelque 1 050 âmes, je n’aurais jamais imaginé que la fonction de maire pourrait être si difficile. La violence et les incivilités ont augmenté avec les années. Pas une semaine ne passe sans que je fasse l’objet d’invectives en raison de ma fonction. J’ai l’impression que certains citoyens ne supportent plus rien ni personne. Encore hier, je me suis fait insulter. La raison ? J’installais avec des adjoints des panneaux de basket, et selon un riverain mécontent, ça faisait trop de « bruit ». Un fait somme toute banal dans mon quotidien d’élu.
La tension est toutefois montée d’un cran en 2021 à cause de la présence d’un administré, connu des habitants pour être un dealer de drogue. Cet homme perturbait de plus en plus le village. Il n’hésitait par exemple pas à bloquer l’accès à l’impasse où il vivait en barrant la route avec sa voiture. Il pouvait rester posté là des heures durant, avec son gros chien, intimidant.
Face à ce climat d’insécurité grandissant, le facteur ne voulait plus distribuer le courrier dans cette petite rue. Après avoir été agressés et chahutés, les éboueurs ont eux aussi décidé de ne plus s’y rendre. Cette situation inadmissible m’a poussé à déposer plainte au nom de la commune.
Insultes et haine de la France
Pas de quoi calmer les ardeurs de cet individu. Ce dernier, accompagné de complices, a un jour roué de coups et jeté au sol une de ses voisines en fauteuil roulant, qui s’était plainte du bazar qu’ils mettaient. La victime a évidemment déposé plainte.
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J’ai prévenu plusieurs fois les gendarmes et tenté d’échanger avec cet homme. En vain. Après plusieurs incidents de la sorte, et des plaintes déposées à son encontre, il a finalement été convoqué par les forces de l’ordre. De quoi le rendre furieux puisque le lendemain, j’ai à mon tour fait les frais de sa violence.
« Je voyais les enfants pleurer dans le bus »
Jeudi 9 décembre 2021, j’ai en effet été victime d’une agression particulièrement marquante, la plus violente que j’ai connue. En pleine pandémie de Covid-19, je me rends au groupe scolaire du village vers 9 heures du matin pour encadrer une opération de dépistage du virus avant que des élèves ne partent en sortie scolaire à la montagne. Tous les résultats étant négatifs, les jeunes ont pu monter dans un bus, y compris mon petit-fils en classe de CM1 à l’époque.
À ce moment-là, j’aperçois l’homme en question amener le fils de sa compagne dans l’établissement scolaire. Après avoir déposé l’enfant, il se met à foncer dessus en m’invectivant : « T’es un salopard, un enc**é. Tu as porté plainte contre moi. J’étais convoqué par les gendarmes. » Je ne me laisse pas impressionner et lui réponds que son activité n’est pas légale, qu’il sème la zizanie dans le village et qu’il n’a qu’à partir. Trop tard : les insultes pleuvent et il va jusqu’à s’en prendre aux élèves installés dans le bus. Il crie en leur faisant des doigts d’honneur : « J’emmerde les Français. J’en**le leurs enfants. »
La situation s’envenime encore. Sous les yeux des élèves et du personnel éducatif, le fauteur de troubles, bien plus grand que moi, et âgé d’une trentaine d’années, commence à me bousculer sur une route en pente, près de l’école. Il me met deux coups de poing qui me font chuter au sol. Le directeur de l’établissement m’aide à me relever. Je finis par me retrouver dans la partie haute de la pente. Impulsif, face à ce déferlement de violences, je lui donne un coup de boule. Les coups pleuvent à nouveau. Le directeur et des enseignants tentent une nouvelle fois de s’interposer, mais sont bousculés à leur tour. Je vois les enfants pleurer dans le bus.
La peur au quotidien
Mon agresseur est alors interpellé et, là encore, il n’hésite pas à proférer des propos anti-Français et des insultes racistes. Pour ma part, je suis emmené à l’hôpital. Je constate que j’ai l’arcade sourcilière ouverte et le visage tuméfié. J’ai plus tard déposé plainte. Mon agresseur a d’ailleurs eu l’audace de lui aussi porter plainte pour mon coup de boule. J’ai également reçu un jour d’incapacité totale de travail (ITT).
Le lundi suivant, mon agresseur a été jugé en comparution immédiate au tribunal de Pau. J’ai reçu le soutien sans faille de l’Association des maires de France, qui a mandaté un avocat pour me défendre. Même à l’audience, l’homme tenait des propos vulgaires envers les juges et mâchait un chewing-gum qu’il a fini par coller sous la table – comme un enfant à l’école. Devant la juge, j’ai assumé d’avoir tenu tête à mon agresseur. Cela a semble-t-il joué en ma faveur, étant donné que j’ai été innocenté, tandis que lui a été condamné à plusieurs mois de prison avec sursis. Il a aussi pour interdiction d’entrer en contact avec moi.
La situation s’est depuis calmée, jusqu’à ce que j’apprenne, l’année suivante, qu’une importante opération des forces de l’ordre est menée au domicile de mon agresseur. La gendarmerie m’a prévenu qu’une perquisition était en cours. Des armes de poing, de la drogue et 200 000 euros d’argent liquide ont été retrouvés. Il a depuis été condamné pour ces faits également. Ce n’était donc pas qu’une simple réputation. Cet homme faisait l’objet de longues investigations en raison d’un important trafic dans le secteur.
« J’ai un temps songé à quitter mes fonctions, mais à quoi bon… »
Cette agression m’a en tout cas atteint moralement et même rendu quelque peu paranoïaque. J’ai passé des mois à regarder si quelqu’un me suivait lorsque je me déplaçais dans le village. J’ai même arrêté de rouler à moto un temps, car je me sentais vulnérable. Je craignais que quelqu’un me percute volontairement, par vengeance ou pour ma simple qualité de maire. Les enfants, témoins de mon agression, ont eux aussi été traumatisés par cette violence.
Dans mon malheur, j’ai eu chance de recevoir le soutien inconditionnel de l’AMF, mais aussi de l’ancien garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, ainsi que du président de la République, Emmanuel Macron. Certains de mes confrères ne sont toutefois pas aussi chanceux que moi, malgré les incivilités quotidiennes dans leur commune. Nous sommes les premiers en ligne de mire quand quelque chose va mal et nous en subissons les conséquences directes, comme un bon nombre de professions. J’ai un temps songé à quitter mes fonctions, mais à quoi bon… Je ne souhaite pas donner cette satisfaction à mes détracteurs.
*Le prénom a été modifié.
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