En 2007, il explosait aux yeux du monde dans la peau de Ian Curtis, le chanteur du groupe de rock mythique Joy Divison, dans Control, d’Anton Corbijn. Présenté à la Quinzaine des cinéastes, au Festival de Cannes, ce biopic filmé en noir et blanc décrochait une mention spéciale de la part du jury de la Caméra d’or. Et imposait Sam Riley, ex-musicien du haut de ses 27 ans et inconnu du grand public, comme la nouvelle étoile montante avec sa performance enragée et fiévreuse.
Dix-huit ans se sont écoulés. À l’époque, l’électron libre britannique, originaire de Leeds, arborait un blouson de cuir noir avec, gravé en lettres majuscules dans le dos, le mot « hate » (haine) ; à présent, il n’est pas peu fier de porter des chaussettes rouges avec l’inscription « love ». Il éclate de rire quand on lui fait la remarque. « Control a tout changé car j’y ai rencontré ma chérie, Alexandra Maria Lara, à qui je donnais la réplique. Je l’ai suivie à Berlin, car elle est Allemande d’origine roumaine. Et je ne suis jamais reparti. J’ai perdu mon accent du Yorkshire. Personne ne comprenait ce que je disais, alors désormais je parle l’anglais de la famille royale ! »
« Moi aussi, j’ai eu un comportement autodestructeur »
Il a enduré une longue traversée du désert, ponctuée de trop rares succès, comme Sur la route (2012), de Walter Salles, avec Kristen Stewart, ou Maléfique (2014), de Robert Stromberg, avec Angelina Jolie. « Je n’en ai pas vraiment souffert, admet-il. Car je savais qu’un long métrage comme Control n’arrive qu’une fois dans une vie, tel un tour de magie. Je me sens bien et je travaille toujours, voilà l’essentiel. »
Sam Riley concède néanmoins qu’il lui a fallu attendre tout ce temps avant de réussir à retrouver deux rôles principaux d’envergure, pour lesquels il a été nommé cette année à l’équivalent des César en Allemagne, entrant donc en concurrence avec lui-même. D’abord dans John Cranko, de Joachim Lang, le portrait du chorégraphe sud-africain à la tête du Ballet de Stuttgart, dans lequel il maîtrise la langue de Goethe. Et dans Islands, de Jan-Ole Gerster, récompensé par le Grand Prix au festival Reims Polar. À juste titre, tant ce récit, sous le soleil écrasant de l’île désertique de Fuerteventura, aux Canaries, est captivant.
L’histoire d’un expatrié, Tom, professeur de tennis au sein d’un complexe hôtelier all-inclusive, qui mène une vie de célibataire sans attaches, entre alcool, drogue, virées nocturnes et aventures sans lendemain. Un jour, il sympathise avec une famille de vacanciers et s’improvise guide touristique. Problème, le mari disparaît, et la femme est suspectée de l’avoir assassiné…
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« Je me suis battu pour convaincre le réalisateur de m’engager »
Le comédien est de chaque plan dans ce film noir aussi mystérieux qu’hypnotique, à l’écriture subtile et imprévisible, mêlant drame intime et enquête policière dans une ambiance envahie par le malaise et l’inquiétude. Il incarne ce coach piégé, manipulé, berné et humilié, dans une situation toxique qui lui fait prendre conscience de la vacuité de son existence et de sa solitude, broyé par une société cruelle et régie par les faux-semblants.
« Je me suis battu pour convaincre le réalisateur de m’engager, il aurait peut-être préféré Robert Pattinson, plaisante-t-il. Tom vit dans le déni et l’illusion au quotidien, entretenus par la venue de nouveaux clients chaque semaine qui lui répètent à quel point il est chanceux de ne pas avoir de responsabilités, bronzé toute l’année. Le rêve, quoi ! Il se met à se poser des questions sur les décisions qu’il n’a pas prises, les mots qu’il n’a pas prononcés, les choix qu’il n’a pas effectués, les opportunités qu’il n’a pas saisies. »
Heureux dans son couple et père d’un petit garçon de 11 ans, Sam Riley a cependant réussi à s’identifier à son tourment. « Moi aussi, je me suis perdu, j’ai eu un comportement autodestructeur. Mais je ne bois plus depuis des années. Tom doit faire preuve du même courage et se confronter à la réalité. » Il a suivi des leçons de tennis quatre à cinq fois par semaine pendant trois mois avec des entraîneurs, car Tom est censé avoir battu Rafael Nadal sur le court !
Le tournage s’est déroulé en pleine saison dans un hôtel archi-complet. Il passait pour un employé du club, une fois qu’il avait enfilé sa casquette, son tee-shirt, son short et ses baskets. « Je me serais cru dans The Truman Show (1998), de Peter Weir, la chaleur en plus », s’amuse-t-il. Islands lui a permis de renouer avec le thriller, un genre qu’il affectionne particulièrement, grâce à un professeur de français.
« Il a vite pigé que sa classe était nulle concernant la langue, alors il nous a initiés à votre cinéma en nous projetant À bout de souffle (1960), de Jean-Luc Godard, Plein soleil (1960), de René Clément, Le Samouraï (1967), de Jean-Pierre Melville. Je vénérais Jean-Paul Belmondo et Alain Delon, j’ai commencé à fumer en prenant exemple sur eux ! » (Rires.)
Islands ★★★ de Jan-Ole Gerster, avec Sam Riley, Stacy Martin. 2 h 03. Sortie mercredi.
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