
C’est une victoire en demi-teinte pour l’Union européenne. Safe, le nouvel outil de financement destiné à soutenir les achats conjoints d’équipements militaires, et Edip, son pendant industriel, ont été validés coup sur coup fin juin. Mais à y regarder de plus près, les deux textes laissent un goût amer, notamment à Paris. En coulisses, la France, qui plaidait pour une préférence européenne plus marquée, a vu ses lignes rouges dépassées. « C’est une défaite française, un nouveau Trafalgar », regrette un industriel tricolore.
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Safe, adopté le 27 mai à l’issue du Conseil de l’Union européenne, permet aux États de l’UE d’emprunter jusqu’à 150 milliards d’euros à des conditions avantageuses pour financer des achats communs. Mais le diable se cache dans les détails : le texte autorise jusqu’à 35 % de composants non européens dans les équipements financés, ouvrant ainsi largement la porte à des sous-traitants américains, britanniques ou autres. En clair : l’Europe paie, mais ses concurrents en profitent.
Aussi, les règles de gouvernance industrielle, censées garantir une forme de souveraineté technique, sont assouplies. Le principe de design authority, qui donne à un industriel européen la maîtrise d’un programme complexe, n’est exigé que dans des cas très restreints. Missiles et munitions, pourtant domaines d’excellence pour le français MBDA, sont exclus du périmètre protégé. Résultat : des pans entiers de l’industrie française sont livrés à la concurrence. Airbus, de son côté, a réussi à sauver les secteurs du transport stratégique et du ravitaillement en vol. Mais ces arbitrages laissent un goût amer : les textes ne fixent aucun calendrier clair pour renforcer une « préférence européenne », se contentant de promettre son application… « dès que les conditions le permettront ».
Pour Edip, le critère de contenu européen minimal a été fixé à seulement 65 %, et encore : ce chiffre ne concerne pas le produit fini, mais la somme des composants. Autrement dit, jusqu’à 35 % d’un équipement financé par l’argent du contribuable européen pourra provenir de pays tiers. En clair, des États-Unis. « En janvier dernier, le ministre des Armées disait : “Il vaut mieux pas d’accord qu’un mauvais accord.” Là, il accepte ce deal à 65-35 », regrette un autre acteur important de la défense française.
En clair, l’Europe paie, mais ses concurrents en profitent
Avec ses besoins en réarmement ainsi que le nouvel objectif fixé par l’Otan d’investir 5 % du PIB en faveur de la défense et de la sécurité en 2035, la France semble prête à jouer le jeu. Avec des projets envisagés dans l’artillerie ou la défense sol-air, Paris veut muscler sa défense et espère capter jusqu’à 30 milliards d’euros sur les 150 que prévoit Safe. Une décision finale doit être notifiée à la Commission d’ici à la fin juillet.
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Au-delà de l’industrie, c’est aussi la politique souhaitée par la Commission européenne qui inquiète. Une évolution se profile : via la directive Omnibus Défense publiée le 17 juin, Bruxelles envisagerait d’« européaniser » le contrôle des exportations d’armements – une compétence des États jusque-là – pour verrouiller qui peut vendre quoi, à qui. L’enjeu ? « Prendre la main sur les exportations de matériel militaire dès lors que l’Europe contribuera à leur financement et réduire ainsi la liberté des États », analyse un expert. Il conclut : « En acceptant de placer des pans entiers de sa souveraineté sous contrôle européen – lui-même poreux aux influences de lobbies étrangers –, la France pourrait bien perdre ce qui faisait sa singularité depuis de Gaulle. » Ainsi, l’exception française en matière de défense pourrait vaciller, au nom d’une cohésion européenne qui, dans les faits, semble surtout profiter aux industriels américains.
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