Antoine Foucher est l’ancien directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail (2017 – 2020). Il dirige désormais le cabinet Quintet. Son dernier livre : Sortir du travail qui ne paie plus (Éditions de L’Aube).
Le JDD. François Bayrou envisage 40 milliards d’économies l’année prochaine. Ce chiffre est-il pertinent pour atteindre l’objectif d’un déficit public de 4,6 % en 2026 et sous les 3 % à l’horizon 2029 ?
Antoine Foucher. C’est difficile à dire car l’essentiel des économies va arriver dans les années à venir. Ce qui est vraiment préoccupant est le manque de vision du gouvernement sur le sens et la répartition des efforts à réaliser. Le budget 2025, c’était 50 milliards, le budget 2026, ça sera 40 milliards et celui d’après encore quelques dizaines de milliards. Mais le gouvernement n’explique pas où il veut amener la France avec ces économies. C’est vraiment de la gestion à la petite semaine. Ce qui fait que chaque dose d’effort, légitime en soit, n’est pas comprise et devient difficilement acceptée par les Français.
Les choses seraient différentes si on avait un plan qui nous disait collectivement où on emmène le pays, avec quel niveau d’industrie, quel niveau de rémunération du travail, quelle ambition pour l’école ou pour les services publics d’ici à 2027 ou 2030. Et que toutes les décisions soient prises en fonction de ce cap. Ensuite, si celui-ci est majoritaire, tant mieux. S’il est minoritaire, le gouvernement s’en va. Aujourd’hui, ce qui est déprimant, c’est que nous ne savons pas où nous allons. C’est de la godille en fonction de l’actualité, et on a le sentiment, à juste titre, que le pays n’est pas gouverné. Et on continue à s’enfoncer doucement dans la vase.
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Parmi les mesures sur la table, l’abattement fiscal de 10 % pour les retraités est dans le viseur de la ministre des comptes publics Amélie de Montchalin. Plus généralement, la question du rôle des retraités dans les économies à réaliser fait débat.
Il y a besoin d’un rééquilibrage intergénérationnel des richesses, c’est certain. Les travailleurs d’aujourd’hui sont la première depuis 1945 qui ne vivra pas mieux que ses parents et travaillera sûrement davantage qu’eux, au moins pendant la vie, si ce n’est pendant l’année. Cette situation s’explique en partie par le fait que les pensions de retraite sont, en moyenne, 30 à 50 % supérieures aux cotisations qui ont été acquittées par les actuels retraités.
Il n’y a aucune entourloupe là-dedans, mais simplement une réalité démographique : les retraités d’aujourd’hui ont eu en moyenne deux fois moins d’enfants que leurs propres parents. Ils étaient deux fois plus nombreux pour payer les pensions de leurs parents, et ont donc deux fois moins cotisé que ce que leurs enfants cotisent aujourd’hui pour eux : en 45 ans, les taux de cotisations pour les retraites sont passés de 15 à 28 %.
« Dès qu’un gouvernement a besoin de trouver de l’argent sans avoir de vision, il fait de la technique »
De ce point de vue, solliciter les retraités de façon proportionnelle à leur richesse avec la suppression de l’abattement fiscal de 10 % n’est pas une mauvaise idée. Plus de la moitié des retraités ne serait pas concernée. La pension médiane est d’environ 1400 euros. L’entrée dans l’impôt sur le revenu est légèrement supérieure à 1 500 euros. Donc toutes les personnes qui ont des pensions de retraite inférieures à 1 500 euros nets ne seraient pas concernées car vous ne bénéficiez pas, de fait, de l’abattement quand vous ne payez pas d’impôt sur le revenu.
La ministre souhaite aussi s’attaquer au Capharnaüm des niches fiscales. Ces dispositifs dérogatoires, au nombre de 470 environ, représentent un manque à gagner pour l’État de 85 milliards d’euros chaque année.
Les niches fiscales sont un serpent de mer. Dès qu’un gouvernement a besoin de trouver de l’argent sans avoir de vision, il bricole avec de la technique incompréhensible pour 99 % des gens. Les niches fiscales, tout le monde en connaît 5 ou 6, mais pas plus. C’est pour ça que la grande majorité des gens n’a pas l’impression d’être concernée par le sujet, sauf quand on s’attaque à une niche dont on bénéficie. Mais surtout, supprimer des niches fiscales dans un pays sur le podium des prélèvements obligatoires dans le monde, ce n’est pas faire des économies, c’est encore augmenter les impôts. Je ne dis pas que ce n’est pas nécessaire par endroits, mais encore une fois, cela ne fait pas une vision politique qui entraîne le pays.
Le ministre de l’Économie Éric Lombard exclut toute hausse d’impôts sur les classes moyennes. Est-ce réalisable ?
Le Gouvernement a fait le contraire l’année dernière en augmentant les charges sur le travail de 4 milliards d’euros, et en augmentant les impôts sur les jeunes en apprentissage. Mais ce serait souhaitable que cette année, cet engagement soit respecté, oui, en tout cas pour les classes moyennes qui travaillent et qui, à nouveau, sont les premières générations depuis 1945 qui n’améliorent pas leur niveau de vie matériel grâce à leur travail.
Faut-il s’attaquer à la protection sociale qui représente environ 45 % des dépenses de l’État ? Sur les 40 milliards d’économies en 2026, Bercy espère récupérer 18 milliards sur la Sécurité sociale.
Au vu de l’importance des dépenses sociales, plus de 800 milliards sur 1 650, dire qu’on va aller chercher la moitié des économies de ce côté, c’est proportionnel à sa place dans nos dépenses. Mais il faut ensuite regarder les grandes masses. Sur plus de 800 milliards, vous avez 410 milliards concernant les retraites. C’est là où il y a les plus grandes marges de manœuvre. Puis vous en avez d’autres sur l’organisation et les couches administratives dont nous détenons le record en Europe, alors même que nous nous plaignons, à juste titre, d’un excès de bureaucratie.
Lors d’une conférence de presse sur les finances publiques le 15 avril dernier, François Bayrou a affirmé que les « Français ne travaillent pas assez ». Vous partagez ce constat ?
À condition de préciser ce qu’on entend par là. Car les Français qui travaillent, travaillent assez, ou en tout cas ils travaillent quasiment autant que les autres travailleurs en Europe, et même plus que les travailleurs allemands par exemple. La France n’a pas de problème avec la durée annuelle du travail, en dépit d’un préjugé notamment patronal largement répandu.
Il suffit de regarder les tableaux internationaux de l’OCDE : un travailleur français travaille en moyenne pendant l’année 1618 heures, contre 1717 en moyenne en Europe mais 1577 pour un travailleur allemand. En revanche, là où on a un problème français, c’est qu’on ne travaille pas assez pendant la vie, et donc qu’on n’est pas assez nombreux à travailler par rapport au nombre de gens qui ne travaillent pas. Sur les 68 millions de Français, seulement 28 millions ont un travail rémunéré : 20 millions de salariés, 5 millions de fonctionnaires et 3 millions d’indépendants, libéraux et chefs d’entreprise, en ordre de grandeur.
Il y a deux raisons à ça. La première est qu’on rentre trop tard sur le marché du travail, c’est-à-dire qu’il n’y a pas assez de jeunes en apprentissage et trop de jeunes, environ deux millions, excusez du peu, qui ne sont ni emploi ni en formation tout en étant en âge de travailler. C’est largement lié à un système d’orientation totalement défaillant et hypocrite, mais aussi, disons-le, à un sous-investissement chronique dans l’éducation et la formation, qu’on paie cash sur le niveau de la main-d’œuvre française. La deuxième est qu’on part à la retraite 2 à 3 ans plus tôt que les autres Européens. Et ça, c’est intenable.
« On a une fiscalité d’un pays de consommateurs et pas d’un pays de producteurs »
Pendant longtemps on a compensé en étant plus qualifiés ou plus productifs que la moyenne, mais ce n’est plus vrai aujourd’hui. Sauf à réintroduire une forme de racisme en disant que les Français sont supérieurs aux autres Européens par nature, on va devoir travailler tous un peu plus longtemps. Car si on n’est pas plus qualifiés, pas plus productifs, pas plus nombreux mais qu’on travaille moins, on s’appauvrit par rapport aux autres pays. C’est ce qui est en train de nous arriver : nous étions le 5e pays du monde en termes de PIB/habitant au début des années 1980, nous sommes aujourd’hui 26e.
Le Premier ministre a aussi assuré que la France « ne produisait pas assez ». Est-ce là le cœur du problème de notre système économique basé sur la consommation et non sur la production ?
Oui, mais on aimerait bien entendre François Bayrou sur les solutions, sur sa vision pour sortir la France de là et sur la quantité et la répartition des efforts à faire. Il faut dire la vérité aux Français sur les choix qu’il y a à faire, par exemple en termes de fiscalité pour produire plus. Nous avons la fiscalité d’un pays de consommateurs et pas d’un pays de producteurs : sur l’ensemble de nos prélèvements obligatoires, la part que représentent les impôts de production est l’une des plus élevées d’Europe (4 % du PIB, soit le 2e niveau d’Europe), et la part des impôts sur la consommation est l’une des plus faibles (25 % du total, soit la 18e place en Europe)….
On préfère taxer la production que la consommation, et donc forcément à la longue, on devient une économie de consommation, qui structurellement engendre des salaires plus faibles et qui augmentent moins vite. Une autre façon de le voir est de regarder le déficit de la balance commerciale depuis 25 ans. Changer ça, c’est concrètement 25 à 30 milliards d’impôts de production en moins pour les entreprises industrielles et on compense avec 2,5 points de TVA social.
Dans votre dernier livre, vous prônez « un nouveau contrat social fondé sur le travail pour cesser de nous fracturer et redevenir maître de notre destin collectif ». Le sujet majeur pour l’économie française est-il la revalorisation du travail ?
C’est la clé de notre redressement. Il faut qu’on travaille plus. C’est vrai. Mais comment va-t-on faire pour que les gens travaillent plus si le travail ne paye pas plus ? Il faut qu’on produise plus. C’est vrai. Mais comment va-t-on motiver les gens pour être plus productifs si le travail ne paye pas plus ? Il faut qu’on finance notre modèle social malgré le vieillissement démographique. C’est vrai. Mais comment va-t-on le financer si on ne travaille pas plus, et donc si le travail ne paye pas plus ? Quel que soit le problème économique de la France que vous prenez, vous retombez in fine sur la rémunération du travail : c’est la clé de voûte du destin de la France.
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